Hikma n°7 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

« De Sa promesse ne doute point, si ce qui est promis n’arrive pas, alors que l’échéance en était déterminée : Cela porterait atteinte à l’œil de ton cœur et ternirait l’éclat de ta conscience. »

Douter de quelque chose, c’est osciller entre l’occurrence et la non-occurrence. Porter atteinte à l’œil du cœur, c’est le recouvrir d’un voile. L’œil du cœur, c’est cette faculté de percevoir la signification subtile ; la conscience enfouie, c’est la faculté d’affermir la connaissance de Dieu. Sache que l’ego, l’intellect, l’esprit et les appétits terrestres sont une seule et même chose, mais ils diffèrent par ce qu’ils perçoivent. Ce qui perçoit les appétits, c’est l’ego. Ce qui perçoit la législation religieuse, c’est l’intellect. Ce qui perçoit les effluves seigneuriaux (tajalliyat) et les touches mystiques (waridat), c’est l’esprit. Ce qui perçoit la réalisation et les états de permanence, c’est la conscience enfouie. Toutefois, le lieu est le même.

 

Ternir l’éclat de quelque chose, c’est l’occulter après qu’elle soit apparue. Quand Dieu fait une promesse, s’exprimant par le biais d’une Révélation, d’une inspiration Prophétique, par un saint ou par une très forte effluve (tajalli), ne doute pas de cette personne, ô disciple, si tu es un vrai croyant. Si le moment où la promesse sera tenue n’est pas spécifié, c’est que la chose promise peut survenir au plus tôt comme au plus tard. Mais ne doute pas sur le fait qu’elle surviendra, même si cela prend le temps voulu. La supplication de Moïse et de Harun à l’encontre de Pharaon mit quarante années à se réaliser, après qu’il (Moïse) dit : “Ô Seigneur, anéantis leurs biens…” (Coran 10 : 88)

Si le moment est spécifié, et que la chose ne survient pas, ne doute pas non plus de la véracité de la promesse. Cela peut être lié à des raisons et à des contingences que Dieu a occultées au prophète ou au saint afin de révéler (par la suite) Sa puissance et Son jugement. Pense à Yunus (Jonas) fuyant son peuple après l’avoir averti de la punition qui l’attendait. C’est leur manque de soumission à Dieu (Islâm) qui était en cause. Lorsqu’ils furent soumis, la punition fut enlevée. Le même chose vaut pour Noé (Nuh) lorsqu’il dit : “Ô mon Seigneur, certes mon fils est de ma famille, et Ta promesse est vérité. Tu es le plus juste des juges”. (Coran 11 : 45) Sa supplication correspondait au sens général (du terme “fils”). Puis Dieu répondit : “Ô Noé, il n’est pas de ta famille car il a commis un acte infâme” (Coran 11 : 46) : “Nous t’avons fait la promesse que ta famille véridique serait sauvée des eaux, mais tu l’as compris au sens littéral. Notre savoir est vaste”.

Cela est un secret caché. Les prophètes et les hommes de Dieu voient au-delà de la promesse littérale. Ils en sont donc d’autant plus remués et ne peuvent trouver de réconfort ailleurs qu’en Dieu. Ils voient au contraire l’immense étendue de Sa science et les effets de Sa puissance. On peut saisir cela en partie dans les paroles du prophète Abraham, l’ami de Dieu[1] : “…Je n’ai pas peur des associés que vous lui donnez. Je ne crains que ce que veut mon Seigneur. Mon Seigneur embrasse tout dans Sa science. Ne vous rappelez-vous donc pas ?” (Coran 6 : 80) ainsi que les paroles de Shu’ayb[2] : “…Il ne vous appartient pas d’y retourner (à la religion de la mécréance) à moins que Dieu notre Seigneur ne le veuille. Notre Seigneur embrasse toute chose de Sa science…” (Coran 7 : 89). Il y a aussi le récit de notre Prophète –salut et paix de Dieu sur lui –le jour de la bataille de Badr lorsqu’il pria jusqu’à ce que sa cape lui tombe des épaules, disant : “Ô Dieu ! Ton engagement et ta promesse ! Ô Dieu, si ce groupe est détruit, il n’y aura plus personne pour te glorifier après ce jour.”Le Siddiq[3]lui dit : “Cela suffit, ô Envoyé de Dieu. Dieu tiendra la promesse qu’Il t’a faite”. On voit ici que l’Elu cherchait au-delà de la promesse littérale et extérieure alors que le Siddiq n’en voyait que la surface. Les deux avaient raison. Le Prophète voyait tellement plus loin et sa connaissance était la meilleure.

Concernant la trêve de al-Hudaybiyya, le moment de la réalisation de la promesse n’était pas clairement formulée, car Dieu dit : “Il savait ce que vous ne saviez pas” (Coran 48 : 27).[4] Lorsque ‘Umar lui dit : “Ne nous avais-tu pas dit que nous entrerions à la Mecque ? Il répondit :

-T’ai-je dit que ce serait pour cette année ?

-Non, répondit-il (‘Umar).

Il récita alors :

– “…ayant rasé vos têtes ou coupé vos cheveux””[5].

 

Ô mon frère, prends ma main dans l’affirmation de ce que Dieu t’a promis, garde une bonne opinion de Lui et des ses Amis (ses saints), notre shaykh en particulier. Garde-toi de dissimuler en toi le refus ou le doute, car cela porterait atteint à l’œil de ton du cœur : c’est bien une raison pour son obscurcissement et pour le ternissement de l’éclat de ta conscience intime. Il se pourrait que tu refasses tout le chemin que tu as parcouru et que tu démolisses ce que tu as bâti. Cherche la meilleure compréhension et accroche-toi à la conclusion que tu en tireras. Nous avons déjà cité les paroles du shaykh de notre shaykh, Sidi ‘Ali : “Lorsque nous désirons une chose et qu’elle arrive, nous éprouvons de la joie. Lorsqu’elle n’arrive pas, cette joie est multipliée par dix”. Cette parole était le fruit de l’immense étendue de sa compréhension et du ferme enracinement dans sa connaissance spirituelle de son Seigneur.

Dieu peut faire descendre après de Ses saints le décret sans faire descendre auprès d’eux l’annonce de Sa clémence. Lorsque le décret descend accompagné de Sa clémence, il est léger et facile à accepter, et il descend parfois sur eux sans même qu’ils s’en rendent compte ! Nous témoignons de la réalité de cela, en nous-mêmes et en nos shaykhs. Cela n’a pas diminué notre sincérité ni éteint la lumière de notre conscience intime. Dieu en soit loué !

 

Note : Sidi at-Tawudi ibn Sawda a dit : “Cette connaissance est subtile. Quelqu’un demandé : “Doit-on croire que le temps que mettent les promesses de Dieu à se réaliser peuvent être connues ? Dans les promesses de la Révélation Coranique, les décrets sont arrêtés une bonne fois pour toutes, mais si c’est par inspiration, des doutes au sujet du décret n’obscurcissent en rien l’œil du cœur puisque ce n’est pas une obligation religieuse que d’y croire.

Nous répondons : Ces paroles s’adressent aux disciples véridiques ou à ceux qui sont parvenus au terme de la Voie. Ils doivent écouter et croire en leurs shaykhs pour tous ce qu’ils disent, car ce sont les héritiers des prophètes et ils suivent leurs pas. Les prophètes reçoivent la Révélation et le Jugement de Dieu, et les saints reçoivent l’inspiration, car leurs cœurs sont purifiés de toute entache et de toute altérité et ils sont emplis de lumière et de secrets : seule la Vérité s’y manifeste. Lorsqu’il promettent ou mettent en garde contre quelque chose, le disciple doit y croire. S’il éprouve des doutes ou de l’hésitation  propos de ce que Dieu a promis par le biais de son prophète ou de son shaykh, la lumière de l’œil de son cœur s’en trouve diminuée et sa conscience intime se dessèche. Si l’heure de la réalisation de la promesse n’est pas spécifiée, attends patiemment qu’elle survienne, même si cela prend du temps. Si l’heure est spécifiée et qu’en fin de compte elle ne survient pas, comme les Envoyés de Dieu, dis-toi que cela est du à un raisonnement subtil et à des raisons non révélées. C’est toute la différence entre “siddiq” et le “sadiq” : le siddiq n’hésite pas et ne s’étonne jamais, alors que le sadiq hésite avant d’agir. S’il assiste alors à un phénomène miraculeux, il s’en étonne et n’en revient pas. Dieu sait mieux.”

Lorsque le disciple est revêtu des attributs de la perfection, il ne peut que reconnaître la puissance de la Majesté extérieure et de la Beauté intérieure. Toutefois, le disciple cheminant peut éprouver des doutes quant aux promesses de Dieu de la récompense sainte et des ouvertures spirituelles qui en découlent.

C’est pourquoi le shaykh (Ibn ‘Ata- Allah) dit :

« S’il t’ouvre une voie vers la connaissance, qu’importe si tes oeuvres sont minimes ? Cette voie, il te l’a ouverte, que parce qu’il veut se faire connaître à toi. Ne sais-tu pas que la connaissance est Son don, tandis que les œuvres sont ton offrande ? Quelle commune mesure entre ce qu’Il te donne et les offrandes que tu Lui présentes ? » lire plus …

[1] Abraham est surnommé en Islam “al-Khalil”, l’ami de Dieu.

[2] Prophète arabe envoyé aux hommes de Madyan, non loin de Damas.

[3] Abu Bakr as-Siddiq (le véridique) : compagnon du Prophète et premier calife de l’Islam.

[4] La Mecque fut conquise deux années après cette trêve.

[5] Même verset (48 : 27).