Hikma n°88 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Certains, Dieu les réserve pour Son service, d’autres, Il les honore de Son amour : “Nous les aiderons tous, ceux-ci comme ceux-là, du don de ton Seigneur, et le don de ton Seigneur ne peut être empêché.” (Coran 17 : 20)

            Les serviteurs choisis de Dieu pour bénéficier de Sa faveur particulière sont de deux sortes.

            Le premier groupe, Dieu leur prescrit Son service et Il les y établit. Il diffèrent entre eux : certains s’isolent dans le désert ou dans le vie sauvage afin de prier la nuit et de jeûner le jour. Ce sont les ascètes. Il y en a d’autres qui sont garants de la religion et de la préservation des musulmans par l’application de la Loi : ce sont les savants et les justes. Certains de parmi ceux-là doivent aller soutenir la religion et élever le Nom de Dieu : ce sont eux qui accomplissent le jihad dans la voie du Seigneur des mondes. D’autres sont placés par Dieu afin d’établir le droit sur les terres et d’apporter leur soutien aux hommes : ce sont les émirs et les sultans.

            Et il y a un autre groupe que Dieu distingue afin qu’ils L’aiment et qu’ils Le connaissent. Ce sont les gnostiques parfaits. Ceux-là voyagent sur le chemin ascendant vers la source de la réalisation.

            Il y a entre ces groupes une grande différence, puisque les premiers, les gens de l’observance rituelle, attendent la récompense, et les autres, les gens de l’amour, se voient retirer le voile entre Lui et eux. Les gens de l’observance sont récompensés sur le pas de la porte et les gens de l’amour parlent dans l’intimité des amants. Les gens de l’observance gardent le voile qui les séparent de Lui tandis que le voile est ôté des gens de l’amour. Les gens de l’observance sont les gens de la preuve et de l’argument, alors que les gens de l’amour sont les gens de la contemplation et du face-à-face. Les gens de l’observance se voient arracher la richesse de l’ego, mais sur les gens de l’amour la richesse est déversée. Enfin, l’amour des gens de l’observance est divisé, alors que l’amour des gens de l’amour est axé.

            Voilà pourquoi les gens de l’adoration externe ne récoltent que la constance dans l’acte d’adoration tandis que les amoureux atteignent la vision de leur Bien-Aimé. Si ces premiers abandonnaient leurs appétits pour concentrer leur attachement sur l’Aimé, ils atteindraient eux aussi l’Aimé et Le verraient par la contemplation et la certitude intérieure. Ils pourraient enfin se reposer de leur labeur qu’est l’observance perpétuelle, mais le fait est que l’Omniscient les a placés dans l’observance et on doit les respecter pour cela. Cela n’interdit pas, toutefois, une préférence pour les gens de la connaissance spirituelle et de l’amour. Vois ce que dit le Très-Haut à la suite du verset (cité dans la hikma) : “Regarde comment Nous favorisons certains sur d’autres. Et dans l’au-delà, il y a des rangs plus élevés et plus privilégiés”. (Coran 17 : 21) Cela montre que certains sont plus favorisés que d’autres. Toutefois, tous les serviteurs du Roi, sans exception, sont à respecter, et le Roi n’aime pas que l’on méprise l’un de Ses serviteurs, même s’ils se situent pour Lui à des degrés différents. Dieu sait mieux !

            Abu Yazid a dit : “Dieu est attentif aux coeur de ses intimes (awliya). Certains ne sont pas prêts pour la connaissance, alors Il les fait s’affairer dans l’adoration”. Abu l-’Abbas ad-Dinawari a dit : “Dieu a des serviteurs qui ne sont pas prêts pour la connaissance, alors Il leur assigne Son service. Il a aussi des serviteurs qui ne sont pas aptes à Le servir, alors Il les prépare à recevoir Son amour”. Yahya ibn Mu’adh a dit : “L’ascète est visité par le Réel dans ce monde et le gnostique est visité par le Réel dans le Jardin”. Ce qu’il veut exprimer, c’est que Dieu prend l’ascète de ce monde et le fait entrer dans le Jardin. Et Dieu prend le gnostique du Jardin et le fait entrer en Sa Présence. Il le prend du Jardin sensible pour l’admettre dans le Jardin des significations subtiles, celui qui convient aux gnostiques.

            Le shaykh de notre shaykh, sidi ‘Ali, dit dans son livre : “Gloire à Celui qui a donné aux gens l’endurance dans l’observance rituelle, et qui à donné à d’autres l’amour de Lui. Chacun est à sa place. Dieu s’est épiphanisé aux gens de l’observance par Ses attributs de Majesté (Jalal) et de crainte de Lui, de manière à ce qu’ils s’aliènent du monde crée. Leurs coeurs se relient alors à ce qui leur vient de la présence du Réel. Leurs corps amaigrissent, jaunissent et leurs estomacs se creusent. Leurs foies se liquéfient par leur alanguissement ardent et ils traversent l’obscurité avec pleurs et soupirs. Ils échangent ce monde contre l’effort dans la religion. Ils aspirent au Jardin dont ils sentent les haleines dans les cieux et sur la terre, dans la crainte révérencielle de Dieu. Aux gens de l’amour, Dieu s’épiphanise par Ses attributs de Beauté (Jamal)  et d’amour en Lui. Ceux-là sont ivres du vin de la proximité. Celui qu’ils adorent les distrait de la compagnie des ascètes ou des gens de l’observance rituelle, car ils sont occupés avec Dieu, intérieurement et extérieurement, et sont donc voilés de toute autre chose, intérieure ou extérieure. Leur ascèse du monde à eux est bénédiction et prélassement, puisqu’elle est contemplation du Roi Omniscient.”

            Voilà pour le septième chapitre de ce livre. En résumé, il a traité de l’élévation de son aspiration (himma), de la reconnaissance envers Dieu pour Ses dons, du bon comportement et de la résolution de progresser de l’observance rituelle pure vers la connaissance spirituelle et l’amour. Lorsque Dieu choisit un de Ses serviteurs pour Lui donner la connaissance et pour le sortir du dur labeur que représente l’observance forcenée, Il le renforce par une touche mystique (warid) qui l’attire vers la Présence du Seigneur. Mais ce sont des dons de Dieu et non pas des choses que l’on acquiert par action ou stratagème !

Il est rare que les visites divines ne soient pas subites, Afin que personne ne se prévale de les avoir méritées par ses prédispositions.