Les fruits de l’éducation spirituelle

Ibn ‘âshir insiste sur l’examen de conscience (muhâsaba) et la nécessité de se remettre en question chaque fois pour profiter de l’éducation spirituelle et avancer dans le droit chemin vers la Proximité divine en toute humilité. 

Ibn ‘âshir aborde enfin les neuf stations du soufisme (appelées : les stations de la certitude) comme fruit de l’éducation spirituelle : le repentir (tawba)[1], la patience (sabr)[2], la gratitude (shukr)[3], le renoncement (ou le détachement par le cœur des biens de ce bas monde) (az-zuhd)[4], la crainte (al-khishya)[5], l’espérance (ar-rajâ)[6] , le contentement (ridâ)[7], la remise confiante à Dieu (at-tawakkul)[8] et l’Amour[9].

Il dit pour conclure que l’ultime fruit de cette éducation fondée sur le Coran et la Sunna est le fait de se libérer (libérer le cœur) de tout ce qui n’est pas Dieu, et des idoles qui peuvent habiter le cœur, le souiller et le voiler (comme l’amour de ce bas monde ou l’amour du pouvoir…). Le disciple parvient par conséquent à être en conformité avec la loi divine et avoir un bon comportement envers toutes les créatures. Ainsi, il atteint la station de proximité (qurb) et de connaissance de Dieu (Ma‘rifa).
L’âme est vaincue et est transformée d’une âme charnelle, instigatrice du mal à une âme apaisée qui reçoit de l’esprit les lumières de l’inspiration divine (et non pas les insufflations venant de Satan).
L’être humain est élevé de sa nature argileuse à son origine lumineuse qu’il retrouve (car l’esprit de l’être humain n’est en vérité que le souffle de Dieu[10]). Il renoue par conséquent avec le pacte d’allégeance (initiatique) conclut avec Dieu avant notre création : « Et lorsque ton Seigneur prit des fils d’Adam de leurs dos leur progéniture et les fit témoigner contre eux même : « Ne suis-je pas votre Seigneur et Maître ? » Ils dirent : « Que si, nous en témoignons ». »[11]
Il méritera ainsi l’Amour de Dieu cité dans le verset coranique: « des gens qu’Il aime et qui L’aiment »[12].

[1] « C’est en effet sur le repentir (at-tawba), le mouvement de retour vers Dieu, qu’est bâtie la Voie, et ses bénédictions rejaillissent même sur le vécu antérieur de l’homme. Il n’y a pas de station initiatique (maqâm) qui n’ait besoin du repentir ; sans lui nul état spirituel (hâl) n’est suffisamment pur, nulle œuvre agrée et nulle demeure spirituelle stable. Sa nécessité s’impose aux hommes en général et aussi à chacun en particulier. « O vous les croyants, revenez tous à Dieu ! Peut être serez vous heureux » Coran : sourate 24, verset 31: Dieu s’adresse dans ce verset à l’ensemble des croyants, ce qui montre combien le repentir a d’importance. L’homme parvient à se repentir par la méditation ; il parvient à celle-ci par la pratique de retraite solitaire (ponctuelle et de courte durèe car on ne peut se permettre de fuire nos responsabilités mondaines), et il arrive à celle-ci après avoir goûté le fléau que constitue la fréquentation des humains. Le signe que tu es parvenu au but, c’est que ta démarche a été validé dés le début » : référence : Ibn ‘Atâ Allah, « La sagesse des maître soufis », par Eric Geoffroy p : 271, édition Grasset.

[2] La patience dans les épreuves et dans la privation, la patience pour ne pas désobéir à Dieu et pour accomplir les actes d’obéissances : c’est le premier degré de la patience. La patience des connaisseurs de Dieu passe par le fait de supporter le mal et l’ignorance des autres et surtout supporter de garder secret leur vision de la « vérité » divine et du Prophète (paix et salut sur lui) en chaque instant : pour ne pas perturber les non initiés à cette science subtile qu’est le soufisme…

[3] « Parmi les devoirs qui incombent à l’homme envers Dieu, le premier est l’action de grâce. Celle ci peut être d’ordre exotérique- elle consiste à agréer ce qu’on a reçu- ou ésotérique ; cela équivaut dans ce cas à contempler les bienfaits divins. Or celui qui n’observe pas les commandements divins ne pratique nullement l’action de grâce ; de même, celui qui ne respecte pas ses engagements avec Dieu ne peut prétendre garder un lien avec Lui. Soyez donc reconnaissants envers Lui pour les bienfaits qu’il a déposés en vous !
Les hommes aveugles et plongés dans l’inadvertance demandent à Dieu qu’Il renouvelle sans cesse Ses faveurs, alors qu’ils ne L’ont jamais remercié lorsqu’Il leur a donné… ». : Al-Ghazâli : « l’apaisement du cœur » : traduit par Hédi Djebnoun p : 270 : Revivification des sciences de la religion : Editions Al-Bouraq.

Un soufi a dit : « les soufis sont reconnaissants (et remercient Dieu) dans les épreuves (car cela veut dire : que Dieu pense à eux) et lorsque Dieu leur donne un bien, il le donne tout de suite à ceux qui ont le plus besoin de ce bien : Ils sont plongés dans la contemplation du Bienfaiteur et ne voit que Lui : dans l’épreuve comme dans les situations aisées… Alors que ceux qui n’ont pas goûté encore aux délices de Sa connaissance, sont dans la patience lors des épreuves et ne sont dans la gratitude que lorsque Dieu leur octroie un bien »

[4] « Le premier signe de l’ascète : il ne doit pas se réjouir de ce qui existe, ni s’attrister pour ce qui est perdu…Bien plus, il faut que ce soit le contraire, il faut s’attrister sur l’existence des biens et se réjouir de leur perte.
Le deuxième : celui qui le loue et celui qui l’offense doivent être égaux à ses yeux.
Le troisième : il ne doit se rassurer que dans l’intimité de Dieu et la douceur de l’obéissance doit primer en son cœur ; le cœur n’est jamais vide d’amour et il n’ y a d’amour que celui du monde ou celui de Dieu. Ces deux amours sont dans le cœur comme l’eau et l’air dans la coupe. Lorsque l’eau y entre, l’air en sort : ils ne peuvent s’associer. Quiconque est dans l’intimité de Dieu, ne se préoccupe que de Lui, et de nul autre que de Lui ». : Al-Ghazâli : l’apaisement du cœur : traduit par Hédi Djebnoun p : 247.

[5] « Sache que la crainte est l’expression de la douleur du cœur lorsqu’il s’attend à l’avènement de quelque chose de détestable à l’avenir. Mais celui qui fréquente habituellement le Seigneur, dont le cœur est entre Ses mains et qui contemple continuellement la beauté de la vérité ne s’occupe plus de ce qui va se produire à l’avenir. »
Al-Wâsiti dit : « La crainte est un voile entre Dieu et l’homme et «lorsque la vérité apparaît dans l’âme, il n’y a plus de place pour l’espérance ou la crainte » « la crainte est le fouet avec lequel Dieu conduit Ses serviteurs vers l’assiduité au savoir et à l’œuvre par lesquelles ils obtiennent un degré proche de Dieu ».

[6] « Les hommes de Dieu ne sauraient désespérer de Sa miséricorde et de Sa grâce. Ils cherchent donc à s’attirer les grâces de Dieu par Ses attributs de générosité. Lorsque chez les croyants ordinaires Dieu suscite la crainte, ceux-ci l’éprouvent ; de même, lorsqu’Il fait naître l’espérance en eux, ils espèrent. Inversement, s’Il suscite la crainte chez les élus, ils espèrent, et s’Il fait naître l’espérance en eux, ils ressentent de la crainte. »
Yahya Ibn Mu‘âdh disait : « Quiconque adore Dieu simplement par crainte se noie dans l’océan des pensées. Quiconque L’adore simplement par espérance se perd dans les illusions. Mais celui qui L’adore par crainte et par espérance est dans la justesse ».

[7] « Elle a deux aspects : la satisfaction d’une douleur en raison de ce qu’on peut en attendre comme rétribution. Ainsi est la satisfaction pour la saignée, la tonsure ou le remède qui doivent guérir.
La satisfaction sans l’attente d’un bénéfice quelconque mais simplement parce que c’est le désir de l’être aimé. L’amour est tel que le désir de l’amoureux et celui de l’être aimé sont confondus. La chose la plus délicieuse est alors pour l’amoureux : la joie dans le cœur de l’être aimé et la satisfaction de ses désirs, soit-il au prix de sa propre mort ». : Al-Ghazâli : l’apaisement du cœur p 362.

[8] C’est être avec Dieu et compter sur lui en toute situation : sans négliger les causes : c’est-à-dire déployer les efforts de notre côté pour arriver au but.

En parlant de l’Imâm Shâdhilî, Al-ghazâlî rapporte : « L’homme spirituel véritable « Ar-rajul » n’est pas celui qui est assisté par ses amis mais par ses ennemis. Au cours d’une pérégrination, je passais la nuit sur une petite colline. Les lions s’approchèrent alors, et tournèrent autour de moi jusqu’au matin. Je dois dire, que je n’ai jamais autant senti l’intimité (uns) avec Dieu que cette nuit là, le lendemain matin que pensait que j’avais atteint la station de l’intimité. Puis je descendis au bord d’une rivière ; là se trouvait des perdrix qui tout d’abord ne m’avait pas vu. Lorsqu’ils sentirent ma présence, elles s’envolèrent d’un seul trait, et je sursautais de frayeur. Une voix me dit alors : « O toi qui, la nuit dernière, a apprivoisé les lions, tu es effrayé maintenant par les battement d’ailes des perdrix ? C’est que, cette nuit, tu étais avec Nous, tandis qu’aujourd’hui tu n’es qu’avec ton ego ! » ». : Al-Ghazâli : l’apaisement du cœur p 101.

[9] « L’amour le plus indispensable, le plus élevé et le plus sublime est l’amour de Celui pour qui les cœurs s’inclinent naturellement d’amour, que les créatures aspirent spontanément à adorer. Allah est adoré pour Lui même sous tous les rapports tandis qu’autrui n’est aimé qu’accessoirement par rapport à Son amour. En effet, Son amour est attesté par tous Ses livres révélés, par l’appel de tous Ses envoyés, par la disposition originelle et l’intelligence qu’Il a placé en Ses créatures, et par Ses Bienfaits en leur faveur. En fait, si les cœurs s’inclinent en général à aimer leur bienfaiteur, qu’en est-il de Celui qui est le Dispensateur suprême de toute faveur ? Si les cœurs s’inclinent vers l’amour de toute chose belle qu’en est-il de Celui qui a créé la  » beauté  » ? « : Al Ghazâli. Pour aimer Dieu, il faut aimer Son Prophète Muhammad (paix et salut sur lui) et l’obéir et pour aimer le Prophète il faudra aimer sa noble famille : Le Prophète – que la Bénédiction et la Paix soient sur lui – a dit: « Aimez Dieu pour Ses bienfaits sans fin, aimez moi pour l’Amour de Dieu, et aimez les gens de ma maison par Amour pour moi ».
(Tradition, authentique selon les critères de Al-Bukhârî et Muslim, rapportée par At-tirmidhî, At-tabarâni, Al-Hâkim d’après Ibn ‘Abbâs).
L’amour comporte quatre degrés : l’amour pour Dieu, qui est commencement, l’amour venant de Dieu, qui est parachèvement ; quant à l’amour en Dieu et l’amour par Dieu, ils occupent des positions intermédiaires. L’amour pour Dieu consiste en ce que tu Le préfères à tout ; l’amour en Dieu à ce que tu aimes celui qui Lui est proche ; l’amour par Dieu à ce que tu aimes qui Il aime et ce qu’Il aime, sans accorder d’importance à tes propos penchants ; l’amour venant de Dieu, quant à lui, est qu’Il t’arrache à toute chose pour que tu n’aimes que Lui. L’amour pour Dieu a pour indice l’invocation perpétuelle que tu fais de Lui, et celui de l’amour en Dieu est que tu aimes les hommes de bien qui ne t’apportent aucun profit matériel. L’amour par Dieu se traduit par l’extinction de tes appétits personnels sous l’action de la lumière divine, et l’amour venant de Dieu par le fait qu’Il t’attire à Lui et voile à tes yeux tout autre que Lui.

[10] Dieu dit dans le Coran : « Il lui donna sa forme parfaite et lui insuffla de Son esprit » (Sourate 32 (As-sajda), verset 9).

[11] Coran : Sourate 7, verset 172.

[12] Coran : Sourate 5, verset 54.