Hikma n°13 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Comment recevrait-il l’illumination le cœur dont le miroir reflète l’image des créatures ?

L’image des créatures, ce sont les choses existenciées et leurs représentations sensibles et mentales. Les créatures sont les sortes d’êtres, petites ou grandes. Le miroir est une métaphore de la perception intérieure, l’œil du cœur où se réfléchit toute chose, bonne ou mauvaise.

Dieu a fait du cœur de l’homme un miroir poli où se reflète ce qui se trouve devant lui. Il ne peut être orienté que dans une direction à la fois. Quand Dieu décrète le bien pour Ses serviteurs, Il fait réfléchir dans le coeur les lumières de Son Malakut[1] et les secrets de son Jabarut[2], et le cœur ne peut s’attacher à l’amour des choses ténébreuses et aux fausses illusions. Ainsi, les lumières de la foi et de l’excellence se reflètent dans le miroir du cœur, ainsi que les lunes de l’Unicité (tawhid) et les soleils de la Connaissance. Ash-Shushtari avait indiqué cela lorsqu’il dit : “Baisse ton regard et tu te verras. Annihile-toi à l’humanité et tes secrets apparaîtront à toi. Polis ton miroir et tu ne renieras plus jamais Dieu”. Puis il dit : “Une sphère se déplace en toi, de donnant la lumière par sa brillance. C’est en toi que les soleils et les lunes se couchent et se lèvent. Polir le miroir de ton cœur, c’est faire partir ce que tu renies de la Réalité. Tu pourras alors y reconnaître tout ce qui est, et ton cœur deviendra l’axe de la sphère lumineuse. Dans ton cœur apparaîtront les lunes de l’Unicité et les soleils de la Connaissance”.

Quand Dieu veut rabaisser un de Ses serviteurs par Sa justice et Sa science, il fait réfléchir dans son cœur les choses ténébreuses et les appétits terrestres, et ces choses-là s’incrustent sur miroir de son cœur. Ainsi, par leurs sombres occurrences et leurs formes superficielles, il est voilé du lever des soleils de la Connaissance et des lumières de la foi. Quand les formes des choses s’amoncellent en lui, la lumière s’éteint et le voile s’épaissit. Il ne voit plus que le monde sensible et son cœur ne réfléchit que le monde sensible. Cela résulte en la non-reconnaissance du cœur de l’existence même des lumières qui sont pourtant sa source. C’est la station de la mécréance –que Dieu nous en préserve !

Lorsqu’il y a peu de rouille sur le miroir et que le voile est mince, les hommes attestent de l’existence de la lumière, bien qu’ils ne la voient pas. C’est la station du commun des musulmans. Leurs degrés spirituels varient en fonction de la proximité et de la distance, de la faiblesse ou la force de leur conviction. Ils varient en fonction de leur certitude, de leur manque d’attache à ce monde et de leur attachement aux appétits physiques et illusoires.

Un hadith dit que le cœur se rouille comme le fer et que la foi s’effiloche comme un habit neuf. Un autre dit que tout a un agent polissant, et que ce qui polit le cœur, c’est l’invocation de Dieu (dhikru-llah). Le Prophète –sur lui la paix et le salut –a aussi dit : “Lorsque quelqu’un commet une mauvaise action, une tâche noire se forme dans son cœur. S’il se retient de la refaire et se repent, cette tâche est effacée. S’il récidive, elle grossit dans son cœur jusqu’à l’envahir. C’est la rouille dont Dieu fait mention lorsqu’Il dit : “Leur coeur est recouvert par la rouille de ce qu’ils font” (Coran 83 : 14).

            Comme tu sais que le cœur ne peut avoir qu’une seule direction, lorsqu’il fait face à la lumière il s’illumine et lorsqu’il est tourné vers l’obscurité, il s’obscurcit. L’obscurité et la luminosité se peuvent aller de pair. Tu peux comprendre le shaykh quand il [Ibn ‘Ata- Allah] dit : “Comment recevrait-il l’illumination le cœur dont le miroir reflète l’image des créatures ?” Deux opposés ne peuvent s’associer. Dieu le Très-Haut a dit : “Dieu n’a pas mis deux cœurs au sein de l’homme” (Coran 33 : 4). Alors, faqir, rappelle-toi que tu n’as qu’un cœur. En te tournant vers les créatures, tu te détournes du Réel. En te tournant vers le Réel tu te détournes des créatures et tu voyages de ce monde du Mulk[3] jusqu’au Malakut et du Malakut jusqu’au Jabarut. Tant que tu restes enchaîné en ce monde par tes passions, tu ne pourras t’en aller vers ton Seigneur. C’est ce qu’il [Ibn ‘Ata- Allah] indique dans la suite de la Hikma :

Ou comment s’en irait-il vers Dieu, enchaîné par ses passions ?


[1] Voir note 4.

[2] Al-Jabarût : l’Omnipotence, l’Empire (divin), le monde de la Toute-Puissance ou l’Immensité divine, les mondes supraformels ; ‘âlam al-jabarût : Monde de l’omnipotence et des lumières originales ; al-Jabbar (le Tout-Puissant) est un nom divin.

[3]Al Mulk : le monde temporel de la Royauté. Al-Malik (le Roi) est un Nom Divin.