Ajourner tes oeuvres pour un temps où tu serais libre, c’est sacrifier aux penchants de l’âme.
“Ajourner” quelque chose, c’est la laisser passer. Ce qui est signifié ici, c’est que tu remets les choses, tu t’en détournes en attendant qu’elles soient plus faciles à faire. (Mais en réalité) “le temps où tu est libre”, c’est le moment où tu as fait ce que tu devais faire. Le coeur est véritablement libre lorsqu’il n’a rien qui le préoccupe. Les membres du corps sont libres lorsqu’ils n’ont plus à travailler. “Sacrifier aux penchants de l’âme” est une forme inintelligence.
Une des vertus spirituelles (adab) du connaissant en Dieu, c’est d’être intellectuellement éveillé et d’un esprit clairvoyant. C’est faire preuve d’intelligence que de saisir les opportunités pour agir et de s’empresser d’agir sans faire traîner les choses, sans rester assis à y songer, car s’il rate l’occasion de saisir l’instant, celui-ci ne lui sera pas remplacé, et ce qui sera obtenu à la place sera sans véritable valeur. Dans un hadith, l’Envoyé de Dieu -sur lui la paix et le salut -a dit : “Un signe d’intelligence, c’est de tenir en aversion le monde de l’illusion et de se tourner vers le monde de l’éternité, de préparer des provisions pour le séjour dans la tombe et de se prédisposer au Jour du Rassemblement”. Il a aussi dit : “L’homme doué d’intelligence, c’est celui qui subvient à ses besoins et qui oeuvre pour ce qui advient après la mort. L’imbécile, c’est celui qui suit son ego (nafs) et sa passion et qui pense à Dieu sans agir”.
Dans les feuillets d’Abraham -sur lui la paix : “L’homme doué d’intelligence, tant que son intelligence a sa juste mesure, doit avoir certaines heures : une heure où il converse avec son Seigneur, une heure où il subvient à ses besoins, une heure où il médite sur la création de Dieu, une heure où il est libre de son besoin de manger ou de boire. L’homme intelligent ne doit agir que pour trois choses : s’approvisionner pour l’Au-delà, subvenir aux besoins de son existence et jouir de choses non illicites. L’homme intelligent doit être clairvoyant dans sa gestion du temps ; il doit s’affairer dans ses obligations et surveiller sa langue. Celui qui considère ses paroles au même titre que ses actions parle peu sauf de ce qui le regarde”.
Le fait d’ajourner ses oeuvres jusqu’à plus tard, quand le coeur où le corps sera inoccupé est vraiment un signe d’imbécillité et d’inintelligence. C’est une illusion. Comment peux-tu attendre un éventuel futur pour agir alors que la mort peut te tomber dessus au moment où tu t’y attends le moins ? De plus, tu présumes que tu atteindras un moment d’inoccupation, mais tu n’es jamais à l’abri d’une autre obligation qui peut se présenter à toi. Le fait d’être libre de toute activité est rare, selon les mots du Prophète -sur lui la paix et le salut : “Il y a deux grâces où souvent les gens sont trompés : la bonne santé et le temps libre”, c’est à dire que nombreux sont ceux qui manquent de ces deux grâces, car nombreux sont ceux qui ne se préoccupent que de ce monde ou qui sont trompés par leurs passions, ou qui tombent malades, ou sont dans l’affliction. Nous comprenons ainsi que peu sont ceux à qui Dieu a donné une bonne santé et du temps libre. Lorsqu’ils occupent ce temps et cette santé à la soumission à Dieu, ils sont reconnaissants et reçoivent une large récompense. Lorsqu’ils ne le font pas, alors ils passent à côté de beaucoup, et ils ne font pas montre de reconnaissance pour ces deux grâces. Elles devraient donc leur être retirées. C’est aussi une route vers la déception.
Les paroles du shaykh sur la déception seront exprimées plus loin. La pire déception, c’est de ne pas avancer vers Lui alors que l’on n’a plus que très peu d’attachements au monde. L’homme doit couper ses liens (au monde) et ses attachements, contrer ses passions, se mettre au service de son Maître, et ne pas remettre ses affaires à plus tard, car le faqir est le fils de l’instant. Tu le trouveras occupé à la réflexion, à la recherche, à l’invocation, à la discussion spirituelle ou au service de son shaykh qui l’amènera jusqu’à son Maître. J’ai dit à un frère : “Le faqir véridique, c’est celui qui n’a de pensée ou d’action que par la Présence, ou alors par ce qui le placera dans la Présence. Dieu sait mieux.
Puis il [Ibn ‘Ata- Allah] évoque la troisième attitude spirituelle, qui est de rester là où Dieu t’as mis :Ne demande pas à Dieu de te sortir d’un état pour t’utiliser dans un autre. S’il le voulait, Il se servirait de toi sans te changer d’état.