Hikma n°30 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

N’a pas abandonné l’ignorance celui qui veut que, dans l’instant présent, advienne autre chose que ce que Dieu y manifeste.

            L’ignorance, c’est le contraire de la connaissance, et il s’agit ici de l’ignorance qui est manque de connaissance de l’Objectif. Elle est de deux sortes : l’ignorance simple et la complexe. La simple, c’est celle de la personne qui est ignorante mais qui est consciente de son ignorance. La complexe, c’est celle de celui qui ignore son ignorance. La pire sorte d’ignorance, c’est celle d’être ignorant de son ignorance, et celle de nier Dieu après avoir cherché à le reconnaître.

            Une des courtoisies spirituelles (adab)du connaissant en Dieu, c’est de reconnaître les choses où elles se trouvent et d’aller en leur sens là où qu’elles aillent. Dès lors que la toute-puissance divine l’amène jusqu’à la contemplation, il est alors dans la perfection, sans défault. L’auteur du al-’Ayniyya dit à ce propos :

            Si tu appliques la Beauté à tout chose laide,

                        Les subtilités de la Beauté s’empresseront à toi.

            Sa Beauté complète l’imperfection de la laideur.

                        Il n’y a alors nulle imperfection, nulle laideur.

            An-Nuri a dit : “Les créatures ont ce que Dieu désire leur donner”. Lorsque Dieu place quelqu’un dans une station, il incombe au connaissant en Dieu d’y rester par le coeur, quelle que soit la station (et la situation), même s’il désire la quitter par souci de Shari’a. L’un d’eux [des connaissants] a dit : “Celui qui jauge les hommes avec la Shari’a n’a de cesse de les condamner, mais celui qui les jauge avec la Réalité divine, les pardonne”. Extérieurement, il incombe de traiter les créatures par la Shari’a, de les y rappeler, et par la Réalité intérieurement, afin de ne pas les juger. Celui qui veut qu’advienne autre chose que ce que Dieu à manifesté à l’instant présent, pour lui ou pour un autre, n’a amassé qu’ignorance et n’a rien abandonné de cette dernière puisqu’il s’oppose au Décret et il combat le Tout-Puissant. Dieu le Très-Haut dit : “…ton Seigneur est prompt à réaliser ce qu’Il veut”. (Coran 11 : 107) Si ton Seigneur l’avait voulu, il l’aurait fait ! Si ton Seigneur l’avait voulu, tous les hommes de la Terre auraient cru. Peux-tu forcer les gens à croire ?

On rapporte que Dieu le Très-Haut a dit : “Celui qui n’est pas satisfait de Mon décret et qui ne fait pas preuve de patience lorsqu’il est affligé : qu’il quitte Mon paradis et qu’Il prenne un autre Seigneur que Moi !” ‘Abdullah ibn Mas’ud et Ibn ‘Abbas ont dit : “Je préfère tenir un charbon ardent qui brûle ce qu’il doit brûler et qui laisse ce qu’il doit laisser, que dire : Si seulement telle chose n’était pas !, ou à propos d’une chose qui n’est pas : Si seulement elle était !” Abu ‘Uthman a dit : “Pendant quarante années Dieu ne m’a pas mis dans un état qui me déplaisait sans que je sois en colère d’aller vers un autre état”.

            Le shaykh ‘Ali a dit : “Quiconque reconnaît les gens des réalités à l’extérieur et ne conteste aucun de leurs états intérieurs obtiendra ce qu’ils détiennent entre leurs mains et ne sera privé d’aucun de leurs biens (spirituels). Le connaissant de Dieu combine le bien présent en chaque groupe [éxotérique et ésotérique] et tient compagnie aux deux. Chaque groupe a sa coloration propre, disait le shaykh de notre shaykh, sidi Ahmad al-Yamani. Il ne reniait aucun aspect de la création. Il éudiait avec les gens de l’extérieur les choses extérieures, leur transmettant sa science et perfectionnant leur connaissance, et il étudiait avec les gens de l’intérieur sur des affaires intérieures, leur transmettant sa science et perfectionnant leur connaissance. Il profita donc pleinement des deux groupes, par la connaissance et la sagesse que Dieu lui avait données. On dit du saint (wali) parfait qu’il parle à chacun en fonction de leur niveau et qu’il comble toutes les attentes. Par ailleurs, si on pense aux hadiths du Prophète -sur lui la paix et le salut -on trouve qu’ils ont aussi cette qualité, puisqu’il est le maître des connaissants de Dieu et le modèle des cheminants vers Dieu. Il établit les hommes dans la sagesse que Dieu avait décrété pour eux et les y encouragea. C’est la raison pour laquelle on peut constater des hadiths qui semblent contradictoires alors qu’en réalité il n’y a aucune contradiction. Si tu regardes les hadiths sur l’invocation de Dieu (dhikr), tu en conclues qu’il n’y a rien de mieux que l’invocation ; si tu regardes les hadiths sur le jihad, tu en conclues qu’il n’y a rien de meilleur. Si tu regardes les hadiths sur l’excellence d’acquérir la science, tu dis qu’il n’y a rien de meilleur. Si tu examines les hadiths sur l’ascèse et sur le détachement des choses de ce monde, tu trouves qu’il n’y a rien de mieux. Si tu regardes les hadiths sur le fait de gagner sa vie et de servir sa famille, la même chose est aussi vraie. Le Prophète -sur lui la paix et le salut -prescrivit la sagesse dans chaque tâche afin que l’on dise qu’il n’y a rien de mieux que de bien l’accomplir. Ainsi, les gens de chaque catégorie resteraient appliqués et y verraient une présence évidente de leur Seigneur. Il ne leur dit pas de changer d’état, mais affirma que Dieu avait décrété la sagesse pour chacun d’eux. Il les établit donc à leur place et les encouragea à y oeuvrer de telle manière qu’en lisant les hadiths au sujet de son occupation, il se dise qu’il n’a rien de mieux à faire. Et en effet, les gens n’ont rien de mieux à faire.

            En résumé : le connaissant en Dieu ne rejette rien et n’ignore rien. L’un des connaissants a dit : “Il n’y a rien dans le monde de possiblement plus splendide que ce qui est”. On peut l’interpréter ainsi : dans la prescience de Dieu rien d’autre (que Son décret) n’est possible et il n’y a donc rien de plus splendide que ce qui est”. Nous évoquerons cela plus loi, si Dieu le veut. Et Il sait mieux.

            Puis il [Ibn ‘Ata- Allah] évoque la deuxième attitude spirituelle face à la Sainte Présence, qui est celle d’abandonner l’imbécillité humaine. Il dit : 

Ajourner tes oeuvres pour un temps où tu serais libre, c’est sacrifier aux penchants de l’âme.