Hikma n°18 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Quiconque, contemplant le monde, ne discerne pas Dieu En lui ou proche de lui ou avant lui ou après lui, N’ a pas encore de lumière  en soi. Entre lui et les astres de la connaissance, Dressent leur voile les nuages des créatures.

Les gens de la station de la subsistance en Dieu (baqa) n’ont qu’à regarder l’être des phénomènes pour témoigner du Réel. Ils confirment cela par Dieu et ne voient rien d’autre que Lui. Par leur perfection ils attestent du moyen de Le connaître. Ils font l’expérience donc du Réel par le simple fait de faire l’expérience des moyens intermédiaires du monde.

Depuis que je vois Dieu, je ne vois rien d’autre que Lui

Et depuis, l’altérité nous est interdite.

Le shaykh Abdu s-Salam ibn Mashish a dit à Abu l-Hasan[1] : “Ô Abu l-Hasan ! Aiguise l’oeil de ta foi et tu verras Dieu en toute chose, avec toute chose, pour toute chose, avant toute chose, après toute chose, au-dessus de toute chose, en deçà de toute chose, proche de toute chose et englobant toute chose de Sa proximité. Cet englobement est une qualité divine, libre de tout conditionnement et de toute limite, libre de lieux et de directions, libre de compagnie et des distances, libre d’agir sans secours des créatures. Efface tout par Ses attributs de “Premier et Dernier, Extérieur et Intérieur”. Il, Lui, est Lui. Dieu était, et rien n’était avec Lui, et Il est comme Il était. ” ”

L’un d’eux a dit : “Je n’ai rien vu sans y voir Dieu, et je ne l’ai jamais vu dans le monde temporel”. Voilà ce qu’a pu dire un connaissant en Dieu. Les gens du cheminement de parmi les disciples témoignent de l’être des phénomènes en y voyant le Créateur de l’être, là et par Son geste. Puis l’être est effacé de leur vue par leur vision de Lui. Voilà l’état de ceux qui regardent vers le haut.  Les gens de l’annihilation, eux, voient Dieu avant de voir la création : en réalité ils ne voient plus la création du tout car elle n’a aucune consistance en eux puisque, dans leur ivresse, ils sont absents du monde des moyens, annihilés dans la Sagesse, noyés dans l’océan de lumières. Ils se trouvent aveugles de tout effet du monde.

C’est ainsi que l’un d’eux a dit de cette station : “Je n’ai rien vu sans y voir Dieu le précédant”.  Les gens du voile ainsi que les gens de la preuve et de la démonstration voient l’être mais ne voient pas le Créateur de l’Etre qui est là, avant et après lui. Ils cherchent des preuves à travers le monde de l’existence afin  de prouver Son existence. Cela vaut pour le commun des musulmans de parmi les compagnons de la Droite. Ils faillent à la vision et à l’obtention des lumières et les soleils de la connaissance leur sont voilés par les nuages des causes secondaires, bien qu’ils soient levés et que leur lumière brille. Mais le soleil doit avoir un nuage et la beauté doit avoir un voile. Combien excellents sont les vers de celui qui a déclamé :

Ce n’est que lorsqu’Elle soulève Son voile qu’Elle est voilée !

                        Comme il est étrange que ce soit Sa manifestation qui L’occulte !

Un autre a dit :

Tu t’es manifesté, de sorte que Tu apparais à tous,

                        Sauf à l’aveugle qui ne saurait voir la lune.

            Puis Tu t’es dérobé aux regards, Toi, qui ne dépends aucunement des mondes.

                        Comment pourrait-on connaître Celui qui, par Sa puissance, S’est voilé? Ainsi, le fait qu’Il soit voilé alors même qu’Il est rendu manifeste te fait voir Sa toute-puissance[2], comme le dit le shaykh [Ibn ‘Ata- Allah] :

« Voici la preuve de Sa toute-puissance : Il se voile à toi par ce qui n’a pas d’être avec Lui.« 


[1] Abu l-Hasan ash-Shadili, shaykh d’al-Mursi, lui-même shaykh d’Ibn ‘Ata- Allah.

[2]Dans le Lata’if al-Minan, Ibn ‘Ata- Allah donne un exemple pour aider à saisir ce rapport entre le voile et la proximité, preuve de la puissance de Dieu : “Seule la magnificence de Sa manifestation voile Dieu à l’homme, et seule la force irrésistible de Sa lumière empêche les regards de l’atteindre. C’est l’intensité de Sa proximité qui t’interdit de goûter Sa proximité ! …Tu peux comparer cela à un passant qui respire des effluves de musc dans la rue : il les perçoit d’autant plus qu’il se rapproche de la maison d’où elles émanent, mais une fois entré dans la maison il n’en sent plus le parfum”. (La Sagesse des maîtres soufis, p.53)