Hikma n°17 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Ténèbres est le monde entier : seule l’illumine l’épiphanie de Dieu en lui.

Le monde,  c’est celui des phénomènes, formé par la Puissance et visible par l’oeil sensible. Les ténèbres sont l’opposé de la lumière : c’est ce qui n’existe pas en soi. La lumière illumine l’existence car le Réél, Son épiphanie (tajalli) s’y manifeste.

Je dis que l’être des phénomènes, bien qu’elle soit en réalité non-être, et la manifestation du sensible, est ténébreux car il est un voile pour celui qui se fie à l’extérieur car il n’y voit pas son Seigneur, et car il est un nuage qui cache le soleil des significations subtiles à celui qui s’arrête à ce que lui dictent ses sens. Voilà ce qu’indique ash-Shushtari lorsqu’il dit : “Ne regarde pas les formes physiques : plonge dans la mer des significations et peut-être Me verras-tu”. Ainsi, nous voyons que le monde est ténèbres. C’est la manifestation et l’épiphanie (tajalli) du Réel qui l’illumine.

Si on regarde par l’extérieur sensible, on ne perçoit que les ténèbres. Si on pénètre jusqu’à l’intérieur on perçoit le sensible comme une lumière du Malakut.  Dieu le Très-Haut dit : “Dieu est la lumière des cieux et de la terre” (Coran 24 : 35). Ainsi les paroles du shaykh “Ténèbres est le monde entier” ne concerne que les gens du voile, car l’extérieur  des êtres est incrusté dans leurs cœurs. Pour ce qui est des gens de la connaissance, leur perception intérieure les pénètre jusqu’à la vision du Réél, et ils voient l’être des phénomènes comme étant une lumière émanant de l’Océan du Jabarut, et de ce fait l’Etre entier est lumineux. Dieu le Très-Haut dit : “Dis : Regardez ce qui est dans les cieux et sur la terre” (Coran 10 : 101), c’est à dire : regardez la lumière de Son Malakut et les mystères de son Jabarut, ou encore : regardez les secrets des signification érigés dans ses formes.

L’Envoyé de Dieu -sur lui la paix et le salut -a dit : “Dieu est voilé des gens du Paradis comme il est voilé des gens de la terre, et le gens de la plus haute Assemblée le recherchent comme vous le recherchez. Il n’est confiné nulle part, et n’est pourtant jamais loin de toute chose”.

Les significations subtiles sont des saveurs qui ne sont ni perceptibles par l’intellect, ni transmises par les livres. Ils se perçoivent par la compagnie des gens des saveurs. Alors reste soumis et ne critique pas si tu ne vois pas l’apparition de la nouvelle lune ! Remets-toi à ceux qui l’ont vue de leurs yeux.

Les gens se distinguent par leur perception du Réel : il y a les gens du commun, l’élite et l’élite de l’élite[1]. Alors il (Ibn ‘Ata- Allah) poursuit :

Quiconque, contemplant le monde, ne discerne pas Dieu En lui ou proche de lui ou avant lui ou après lui, N’ a pas encore de lumière  en soi. Entre lui et les astres de la connaissance, Dressent leur voile les nuages des créatures. Lire plus …


[1] On trouve souvent cette distinction des croyants  en trois catégories. Bien que chacune des catégories ait sa validité et qu’elles soient interdépendantes, le soufi détient en lui les trois. Ibn Khaldun, dans son livre Shifa al-sa’il (traduit en français sous le titre La Loi et la Voie éd. Sindbad), énumère ces trois degrés dans le combat spirituel :

La Mujahada at-Taqwa (le Combat de la piété) est la recherche du salut par la pratique des actes rituels obligatoires et recommandés. Il est obligatoire pour chaque musulman de rechercher cette science.

L’étude des livres peut suffire si le croyant est vif d’esprit et s’il est minutieux dans sa recherche. Mais même à ce niveau, il est recommandé d’avoir un professeur (shaykh mu’allim) pour éviter les erreurs d’interprétation et faire disparaître l’ignorance.

La Mujahada al-Istiqama (le Combat de la rectitude) consiste à adopter les mœurs prescrites par le Coran et les usages du Prophète. Il est vivement conseillé d’avoir un professeur et de régler sa conduite sur la sienne, parce qu’il connaît les défaillances et les déviances possibles sur ce chemin.

Et puis il y a la Mujahada al-Kashf (le Combat du retrait du voile). Ibn Khaldun écrit :

“Quant au combat spirituel de l’Intuition et de la Contemplation, dont le but est le soulèvement du voile du monde sensible et la connaissance du monde spirituel (…), elle dépend d’une façon nécessaire et absolue d’un maître de l’initiation (…), sans lequel ce combat spirituel serait vain dans la plupart des cas”.

C’est ce troisième niveau qui est appelé Tasawwuf (soufisme).