Hikma n°53 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Le rayon de ton regard intérieur te fait voir Sa proximité de toi ; La réalité de ton regard intérieur te fait voir ton néant devant Son être ; La vérité de ton regard intérieur te fait voir Son être, sans ton néant ni ton être. Dieu était, et rien n’était avec Lui : Il est maintenant comme il était alors !

            Le regard intérieur est l’oeil du coeur, aussi bien que les yeux sont la vision du corps. Le regard intérieur perçoit les significations cachées de la lumière, alors que les yeux ne voient que les sombres formes du monde physique. L’oeil intérieur perçoit la lumière des significations subtiles peut et il existe cinq sortes de personnes, selon leur regard intérieur. La première, c’est l’aveugle : c’est celui qui renie la lumière du Réel, son être véritable. Sidi al-Busiri a dit :

            La vision réduite refuse de croire en la lumière du soleil

            Et la langue du malade a refusé de boire de l’eau.

            C’est le regard intérieur des incroyants. Dieu le Très-Haut dit : “…ce ne sont pas les regards qui sont aveugles, mais s’aveuglent les coeurs qui battent dans les poitrines”. (Coran 22 : 46)

            La deuxième sorte, c’est ceux qui ont une bonne vue, mais qui ont une maladie qui les restreignent. Ils attestent que la lumière existe, mais ne sont pas assez forts pour la voir, ni de réaliser sa proximité ou sa distance. Ce sont les coeurs du commun des croyants.

            Une autre sorte de gens, ce sont ceux qui ont un bonne vue intérieure, une vue assez forte, tellement qu’ils sont proches de retrouver la vue, mais qui sont incapable d’ouvrir leurs yeux à cause de l’intensité de la lumière. Ils sentent donc que la lumière est proche d’eux. Ce sont les coeurs du commun des croyants qui se dirigent sur le chemin. Cette station s’appelle “la station des rayons de l’oeil du coeur”.

            La quatrième sorte de gens, ce sont ceux qui ont une bonne vue intérieure et qui peuvent ouvrir les yeux et percevoir la lumière dans laquelle ils baignent. Ils s’estompent d’eux-mêmes par la contemplation de cette lumière. Ce sont les coeurs de l’élite qui se dirigent sur le chemin. Cette station s’appelle “la station de la réalité (‘ayn[1]) de l’oeil du coeur”.

            La dernière catégorie de gens a une vue parfaite et une forte lumière qui atteint la lumière de sa source et qui ne voit que la lumière primordiale et qui nie l’existence de toute autre lumière si ce n’est celle de la lumière fondamentale. “Dieu était, et rien n’était avec Lui : Il est maintenant comme il était alors !” C’est “la station de la vérité du regard intérieur”.

            On dit “la station des rayons de l’oeil du coeur”, car lorsqu’une personne de cette catégorie-là perçoit l’existence des formes du monde physique, elles s’incrustent dans son miroir, dans son oeil intérieur, et elles le voilent de la contemplation de la lumière qui est à leur source. Mais quand les formes physiques se font moins denses et les preuves de la source deviennent plus évidentes, il perçoit à travers elles les rayons de lumière. Il voit donc les rayons mais ne voit pas la lumière ! C’est la lumière de la foi, celle de la station “de la certitude par la science” (‘ilm al-yaqin).

            On dit “la station de la réalité de l’oeil du coeur” car lorsqu’il est ferme et fort, l’oeil s’ouvre et voit la lumière qui l’englobe et qui le relie. Ainsi, on l’appelle la réalité de l’oeil du coeur car il est enfin ouvert et il perçoit ce qui est caché aux autres. C’est la station “de la certitude par la vision de la réalité-source” (‘ayn al-yaqin).

On dit “la station de la vérité du regard intérieuré car lorsque le regard intérieur voit le Réel à sa source et qu’il se retire de la lumière des êtres intermédiaires par la lumière de celle qui se trouve à la racine de toute chose, il est caractérisé par “la vérité du regard intérieur”, au sens où il perçoit la vérité, que tout provient du Dieu-Réel, et il s’absente de la vision de la création. C’est la station “de la certitude par la vision du Vrai” (haqq al-yaqin).

Les rayons du regard intérieur sont donc la lumière de la foi pour les gens de l’attention ; La réalité du regard intérieur c’est la lumière de l’excellence pour les gens de la contemplation ; et la vérité du regard intérieur c’est la lumière de l’enracinement et de la fixation pour les gens de l’échange direct. On a pu dire aussi que les rayons de l’oeil intérieur réfère à la lumière de la certitude par la science, la réalité de l’oeil intérieur correspond à la lumière de la certitude par la vision de la source, et la vérité de l’oeil intérieur correspond à la lumière de la certitude par la vision du Vrai.

La certitude par la science est celle qui convient aux gens de la preuve et de la science ; la certitude par la vision de la réalité est celle des gens de la dissipation des voiles ; et la certitude par la vision du Vrai est celle des gens du témoignage et de la vision directe. Voici une illustration : prenons un homme qui a entendu parler de la Mecque sans jamais l’avoir vue. Il en a la certitude par la science qu’il en a acquise. Lorsqu’il surplombe la ville mais qu’il n’y est pas encore entré, il a la certitude par la vision de la réalité. Lorsqu’il y entre et y reste, il possède la certitude par la vision du Vrai. C’est la même chose pour celui qui cherche la Vérité. Tant qu’il reste de son côté du voile, il est dans la certitude par la science, existant par ses actions propres.  Lorsqu’il scrute en direction de l’annihilation de lui-même dans l’Essence dans être constant dans cette annihilation, il a la certitude par la vision de la réalité. Lorsqu’il s’affermit et se fixe, il détient la certitude par le Vrai. On peut dire aussi que les rayons du regard intérieur appartiennent aux gens du Mulk, que la réalité du regard intérieur appartient aux gens du Malakut et que la vérité du regard intérieur appartient aux gens du Jabarut. Ou encore que les rayons du regard intérieur appartiennent aux gens de l’existence par les actions, que la réalité du regard intérieur appartient aux gens de l’Essence et que la vérité du regard intérieur appartient aux gens de l’annihilation à l’annihilation.

Les rayons du regard intérieur te permettront de témoigner de la proximité du Réel : ces rayons te forcent à admettre la lumière du Réel qui se montre à toi. Le Très-Haut dit : “Nous avons effectivement crée l’homme et Nous savons ce que son âme lui suggère et Nous sommes plus près de lui que sa veine jugulaire…” (Coran 50 : 16). Le Très-Haut dit : “…Il est avec vous où que vous soyez”. (Coran 57 : 4)

La réalité du regard intérieur te fait attester de ta non-existence : tu disparais en même temps que disparaît ton illusion d’exister, dans Son existence, c’est à dire dans le Réel car il est impossible que tu Le vois et que tu vois en même temps d’autres que Lui. Lorsque ton illusion te quitte et que tu es annihilé à ton existence, tu contemples ton Seigneur, par ton Seigneur. C’est le signe de l’ouverture de ton oeil intérieur et de la guérison de ton for intime, comme le dit le shaykh ‘Abdu r-Rahman al-Majdhub :

            Celui qui voit le Créateur dans le monde manifesté, n’a de force qu’en la cécité de l’oeil de son coeur.

            Celui qui voit le monde manifesté par le Créateur trouve le médicament pour son for intime.

            Cela signifie littéralement que le commun des croyants est aveugle du regard intérieur, malgré la préférence qu’ils ont sur les incroyants. Ces premiers ont une bonne vue mais qui est obstruée, contrairement aux incrédules qui, eux, sont totalement aveugles.

            La “vérité de ton regard intérieur” te permet de témoigner de l’existence de Dieu, l’Unique, et non pas de témoigner de ton existence propre, car la non-existence ne peut être affirmée que par une personne existante, et il n’y a d’existant que Dieu. “Dieu était, et rien n’était avec Lui”, “Il est maintenant comme il était alors !” Cet ajout du shaykh, bien que ce ne soit pas un hadith, est véridique, car la perméabilité chez Dieu est impossible. Muhammad ibn ‘Ali ibn al-’Arabi al-Hatimi a dit : “Celui qui atteste que les créatures n’ont aucun champ d’action a gagné. Celui qui atteste qu’elles n’ont pas de vie ont gagné. Celui qui atteste de leur non-existence est arrivé !” Celui qui regarde les créatures par le regard de la non-existence, celui-là a gagné. Ils ont écrit :

            Celui qui voit dans la Création un mirage s’est élevé au-dessus du voile

            L’existence, tu la vois raccordée sans distance ou proximité.

            Il n’y pas d’adresse pour s’y rendre, ni d’indication d’adresse !

            Dieu sait mieux. Puis, lorsque le fait de l’existence de Dieu Seul es attesté, ne laisse pas ton aspiration se généraliser à ce qui n’est pas Lui, car l’autre que Lui n’est pas.Que l’intentionnalité de ton aspiration ne vise pas quelqu’un d’autre au-delà de Lui : Le Généreux n’est jamais dépassé par les espoirs !


[1]Le terme arabe al-’ayn représente à la fois l’oeil et la source. Dans sa traduction des Hikam, M. Buret le traduit par “réalité”, équivalence que nous gardons ici.