Tu risques, avec un compagnon pire que toi, de te croire bon, alors que tu es peut-être mauvais.
Si ton état est mauvais et que tes actions ne t’élèvent pas, et que tu tiennes compagnie avec quelqu’un dont l’état est pire que le tien, alors cette compagnie-là te fait voir le bien en toi puisque tu te vois en fonction des défauts de ton compagnon. Tu te crois donc supérieur à lui car l’âme est naturellement disposée à voir ses propres qualités tout en voyant les faiblesses des autres, en matière de connaissances, d’actions ou de comportement. Ce n’est pas le cas lorsqu’on tient compagnie à une personne qui est meilleure que soi. Dès lors, tu ne vois que tes faiblesses, et il y a du bon là-dedans.
Le shaykh ash-Shadili a dit :
“Mon Bien-Aimé ma commandé ceci : n’avance ton pied qu’en direction de là par où tu espères la récompense de Dieu ; ne t’assieds seulement là où tu es à l’abri de la désobéissance de Dieu ; ne choisis pour compagnon que celui qui te procure la certitude de Dieu. Et ces gens-là sont peu nombreux.”
Il a aussi dit :
“Ne prends pas pour compagnon celui qui préfère son ego à lui-même. Celui-là n’est pas bon pour toi. Ne prends pas pour compagnon celui qui se préfère à toi. Celui-là ne te sera pas fidèle. Sois plutôt le compagnon de celui qui, lorsqu’il se remémore quelque chose, c’est Dieu qui est remémoré. Sa remémoration (dhikr) illumine alors les coeurs et son témoignage constitue la clef des mondes invisibles”.
En résumé, ne prends pas pour compagnon celui qui est pour toi un fardeau que tu ne peux porter. La meilleure attitude, c’est celle du juste milieu. Cela, et Dieu sait mieux, vaut pour le compagnonnage des hommes. Pour ce qui est du compagnonnage des shaykhs, tu dois t’empresser, selon tes moyens, à faire tout ce qu’ils te disent de faire, à appliquer leurs indications, à saisir ce qu’ils veulent te faire comprendre. Même si la chose paraît impossible à première vue, tu dois t’empresser de te préparer à agir selon leur vouloir. Le shaykh de nos shaykhs, sidi al-’Arabi ibn Ahmad ibn ‘Abdullah, a dit : “Le vrai faqir c’est celui qui, si son shaykh lui dit d’entrer dans le chat d’une aiguille, se prépare intérieurement pour le faire, bien que ce lui soit impossible !”
Sidi ‘Ali a dit dans un livre : “Sache que rien ne rapproche le chercheur de Dieu plus près de Dieu que la compagnie d’un connaissant en Dieu. S’il en trouve pas ce compagnon, qu’il se rappelle Dieu nuit et jour, debout et assis, et qu’il se mette en retrait des gens de ce monde par le fait de ne pas s’asseoir à leurs côtés, sans leur parler et sans les regarder car ils sont comme un poison qui se répand dans le corps. Rien n’éloigne plus de Dieu que la compagnie d’un faqir insouciant. Le faqir insouciant est mille fois pire que l’inconscient du commun. Il vaut mieux s’asseoir avec un connaissant en Dieu que de mettre en retrait, et il vaut mieux se mettre en retrait que de tenir compagnie à un faqir insouciant. Et il vaut mieux être en compagnie d’une personne du commun plutôt qu’un faqir insouciant. Tout comme le connaissant en Dieu peut unir le serviteur à Dieu par un simple regard ou une simple parole, le faqir insouciant de Dieu peut ruiner la relation entre le serviteur et son Maître par un simple regard ou une simple parole. Que Dieu agrée al-Majdhub, celui qui dit : “Tenir compagnie à autre chose que le bien est vil, même si tu es pur”.
Sahl ibn ‘Abdallah a dit : “Méfie-toi du compagnonnage de trois sortes de gens : les tyrans inconscients, les poètes flatteurs, et les faux soufis ignorants”. Le shaykh Zarruq a rajouté à la liste : “les érudits de la science purement extérieure”, car “il sont dominés par leur ego”.
Le compagnonnage de ces derniers est pire que celui de soixante-dix personnes du commun et soufis ignorants car ils ne perçoivent que le sens littéral et externe de la Shari’a et ils croient que celui qui s’oppose à ce sens apparent est égaré ou fourvoyé, et ils s’efforcent de combattre ceux à qui ils s’opposent, croyant pourtant qu’ils leur sont de bon conseil alors que ce sont eux qui les égarent ! Le cheminant à Dieu devra faire très attention lorsqu’ils sont en leur compagnie et ils devront éviter de les approcher autant que possible. S’il se pose une question sur sa religion et qu’il ne trouve personne de la science intérieure pour lui répondre, il devra la lui poser, mais ne restant sur ses gardes comme s’il était assis à côté d’un scorpion ou d’un serpent. Par Dieu ! Je n’ai pas connu un seul faqir qui, ayant voulu rester auprès d’eux, qui ait connu le succès dans la Voie de l’Elite.
La miséricorde de Dieu sur Abu Dharr al-Ghifari – que Dieu l’agrée -qui a dit : “Par Dieu, quand à moi, je ne leur demandais pas leur monde et je ne leur demandais jamais rien en termes de religion ! Il y avait des gens du savoir parmi les Compagnons vertueux -que Dieu les agrée. Mais que penser de nos jours de ceux qui s’empressent d’être absorbés dans le monde, de se parer de leurs beaux habits et de leurs gros turbans, d’avoir une bonne nourriture, des maisons et de nombreuses montures ? Et ils pensent suivre la tradition du Prophète ! Il n’y a de force ou de pouvoir que par Dieu !
Yahya ibn Mu’adh ar-Razi avait coutume de dire aux érudits de son époque : “O compagnons des érudits ! Vos maisons sont comme celles de Hamam, vos montures sont comme celles de Qarun, votre nourriture est pharaonique, vos fêtes de mariage sont dignes de celles de Jaluth (Goliath), vos fêtes sont celles de la Jahiliyya[1], vos écoles sont shaytaniques, alors où se trouve la religion de Muhammad ?
Le fait de rechercher le détachement et l’ascèse de ce monde, aussi minime soit l’oeuvre et de chercher une aspiration élevée chez ses compagnons, c’est en partie ce qu’il [Ibn ‘Ata- Allah] indique lorsqu’il dit :
Point d’oeuvre minime, si elle vient d’un coeur détaché, Ni d’oeuvre importante, si elle vient d’un coeur plein de désirs.
[1]Période anté-islamique, considérée comme ère d’inconscience et de batifolage.