Hikma n°62 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Celui dont l’exemple ne te porte pas au bien, et dont les paroles ne t’orientent pas vers Dieu : ne sois pas son compagnon !

            Celui dont l’exemple te porte vers le bien c’est celui dont, à sa vue, Dieu est rappelé[1]. Si tu le vois alors que tu es dans un état d’insouciance, il te porte vers un état de lucidité. Si tu le vois alors que tu es dans un état d’attachement au monde, il te plonge dans le détachement. Si tu le vois alors que tu es dans un état de désobéissance et que cela te pèse, il t’élève vers un état de repentir. Si tu es dans un état de reniement de Dieu, il te porte vers la reconnaissance. Et ainsi de suite.

            Celui dont les mots te guident vers Dieu, c’est celui qui parle par Dieu. Il te dirige vers Dieu et se retire du tout-autre. Lorsqu’il s’exprime, il ravit les coeurs et lorsqu’il ne dit rien, son état t’élève vers le Connaissant des mondes invisibles. Son état est en conformité avec sa parole et sa parole reflète sa connaissance spirituelle. Une telle compagnie est telle un élixir qui transforme les âmes. Voilà comment comprendre les mots du shaykh “Ne sois pas le compagnon de celui dont l’exemple ne te porte pas au bien, et dont les paroles ne t’orientent pas vers Dieu”. Reste en présence de celui dont l’état et la parole te portent vers Dieu.

            Le compagnonnage dans la voie du soufisme a une place telle dans le cheminement vers Dieu, ainsi que Celui-ci l’a voulu dans Sa sagesse, que l’un d’entre eux a pu dire : “Celui qui n’a pas de shaykh a Satan pour shaykh” ! Un autre a dit : “L’homme est comme un arbre qui pousse dans le désert. S’il n’est pas taille et pollénisé, il reste stérile et improductif”. Le shaykh Abu l-Abbas al-Mursi a dit : “Celui qui n’a pas de shaykh n’a pas le succès”.

            Quatre conditions sont requises au shaykh afin qu’il puisse enseigner : une connaissance solide, un goût expérimenté, une très forte aspiration et un état de magnification. La connaissance solide, c’est ce par quoi il connaît l’obligatoire. Le shaykh doit aussi connaître les stations et les états spirituels que son disciple traverse, tout comme les illusions et les pièges de l’ego. Le disciple peut ainsi, la main dans la main du maître parfait, passer au travers de tout cela et en expérimenter le goût, et non pas en faire une projection mentale. Voilà le “goût expérimenté”. Une forte aspiration est une aspiration reliée à Dieu et à nul autre. Un état de magnification, c’est un état qui va chercher le meilleur de chacun.

            Le shaykh doit combiner la Réalité et la Shari’a, le ravissement à Dieu (jadhb) et le cheminement vers Lui (suluk). Dieu l’a ravi par le ravissement des coeurs et l’a ramené de son ravissement afin qu’il puisse continuer à avancer. Celui qui se suffit du cheminement sans ravissement n’atteint pas la réalisation spirituelle. En revanche, le fol en Dieu (majdhub) ne chemine pas et, donc, n’arrive nulle part. Avoir celui-ci pour compagnon, c’est recevoir plus de corruption que de bienfaits.

            Il dit dans Usul at-Tariqa : “Celui qui a les cinq caractéristiques suivantes ne peut pas être shaykh : la méconnaissance de la religion, le non-respect des musulmans, le fait de se mêler de ce qui ne le regarde pas, la poursuite de ses passions en toute chose et le mauvais caractère sans préoccupation pour autrui”. La compagnie d’une telle personne n’est que nuisance. Voilà ce qu’il [Ibn ‘Ata- Allah] indique :

Tu risques, avec un compagnon pire que toi, de te croire bon, alors que tu es peut-être mauvais.


[1]Ce qui suit est un vibrant hommage rendu par le disciple Ibn ‘Ajiba à son shaykh. C’est à la lumière du rapport maître-disciple qu’il faut lire le commentaire ce cette hikma.