Hikma n°33 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Jamais itinérant n’arrêta son aspiration à ce qui lui a été dévoilé, Sans entendre aussitôt les voix de la vérité : Celui que tu cherches est en avant ! Et si les apparences des créatures font miroiter leur charme,Aussitôt leurs réalités profondes te crient : “Nous sommes une tentation, ne sois pas parjure”.

        L’aspiration (himma) du voyageur, c’est la force qui le pousse au voyage. “Arrêter son aspiration”, c’est croire qu’il est arrivé au terme où que cela suffit pour lui. Les “voix de la vérité” et de l’Invisible, ce sont ce les dévoilements de la source de la réalisation spirituelle. L’apparence faisant miroiter son charme en est une manifestation mais qui a l’intention de te faire t’incliner devant elle. “L’apparence des créatures” c’est la beauté et l’apparente sagesse qui les recouvre. Leurs “réalités profondes” sont leurs lumières intérieures et c’est le lieu de la manifestation de leurs significations subtiles. Le cheminant est celui qui vit ces choses. S’il les vit en lui-même, il est un cheminant classique. S’il les vit par Dieu, il est un cheminant ravi à lui-même (majdhub).

        Il passe par trois stations : l’annihilation dans les Actions, l’annihilation dans les Attributs et l’annihilation dans l’Essence. On pourrait dire, aussi : annihilation dans le Nom, annihilation dans l’Essence et annihilation de l’annihilation -c’est la station de la subsistance en Dieu (baqa)[1]. Puis c’est une élévation sans fin.

        Lorsque le secret de l’Unicité divine est dévoilé au cheminant et qu’il goûte à la douceur et que son aspiration désire s’arrêter à cette station, les voix de la Réalité et de la constance lui crient :Celui que tu cherches est en avant !

        Lorsqu’il parvient jusqu’à la station de l’annihilation dans les Attributs et que le secret d’Unicité des Attributs lui est révélé, il se tourne alors vers l’annihilation dans l’Essence, et son aspiration désire s’arrêter à cette station, les voix cachées de la Réalité de l’annihilation dans l’Essence lui crient : Celui que tu cherches est en avant !

        Lorsqu’il parvient à l’annihilation dans l’Essence et que le secret de l’Unicité de l’Essence lui est dévoilé, et son aspiration désire s’arrêter à cette station, les voix cachées de la réalité de l’annihilation de l’annihilation, ou la réalité de la subsistance en Dieu, lui crient : Celui que tu cherches est en avant !

        Lorsqu’il parvient à la subsistance, les voix cachées des sciences invisibles l’appellent et lui disent : “Et dis : O mon Seigneur, accroît mes connaissances !” (Coran 20 : 114) Le Prophète -sur lui la paix et le salut -dit : “Je ne peux te louanger comme Toi Tu te louanges”.

        On peut dire, aussi : Lorsque le cheminant se voit dévoiler l’annihilation dans le Nom, qu’il goûte à la douceur dans l’action et dans l’invocation et que son aspiration veut s’arrêter là, les voix cachées de l’annihilation dans l’Essence l’appellent et lui disent : Celui que tu cherches est toujours en avant ! Lorsqu’il parvient à la station de l’annihilation dans l’Essence et qu’il en goûte la douceur, mais qu’il s’est pas solidement enraciné et que son aspiration veut donc se suffire de cela, les voix cachées de la Réalité de l’enracinement lui crient : Celui que tu cherches est en avant ! Lorsqu’il prend de l’enracinement mais ne recherche pas aller au-delà, les voix cachées de l’ascension l’appellent et lui disent : Celui que tu cherches est en avant ! Et c’est ainsi pour chaque station. Celle qui est devant lui l’interpelle. “O gens de Yathrib ! Ne demeurez pas ici.” (Coran 33 : 13)

        Lorsque l’aspect extérieur des êtres dévoilent leur splendeur au cheminant ou au connaissant en Dieu par la rupture de les schémas habituels, par le fait qu’il peut les commander ou disposer d’eux comme il le veut grâce à la force de son aspiration (himma), comme, par exemple, marcher sur l’eau, voler dans le ciel, faire jaillir de l’eau, faire apparaître la nourriture et d’autre miracles de ce genre, et que l’aspiration du cheminant est tenté de s’arrêter à ces aspects extérieurs pour en savourer les goûts, les voix cachées des significations subtiles des êtres l’appellent et lui disent : “Nous sommes là afin de t’éprouver, afin de voir si tu te contentes de ces formes physiques plutôt que de reconnaître leur Maître, Celui qui les a manifesté, et afin de voir si tu t’en détourneras pour aller vers la lumière de leurs significations subtiles et contempler leur Maître, Celui qui les fait être. Prends garde à ne pas oublier, à ne pas renier, Celui qui les a manifesté. Sinon tu rejoindras ceux qui le renient, les ignorants.

        Dans le al-Bughya, as-Sahili donne une métaphore pour ces stations et pour le voyage au travers de ce dernier. Il dit :

        “C’est comme le roi qui apparaît à l’aube et qui nous envoie des messagers qui portent une lettre venant de lui. Ils nous lisent la lettre du roi et nous fait nous languir de lui, par la mention de sa générosité et de ses qualités. Certaines personnes se détournent de l’obéissance et de la soumission. Ce sont les non-croyants. D’autres personnes acceptent de le servir mais ne peuvent s’élever à la présence du roi. C’est le cas du commun des musulmans dont l’amour et la certitude sont faibles. D’autres personnes se languissent du roi et d’entrer en sa présence. Les messagers leur disent alors : Nous allons faire le voyage avec vous afin de vous faire connaître le chemin. Ils ouvrent donc la marche et font le voyage avec eux. Le Roi leur a fait construire des maisons et des stations où ils peuvent faire halte. Chaque station est plus belle que celle qui la précédait, et cela jusqu’à l’arrivée à la Présence du roi. Lorsqu’ils s’arrêtent à la première station ils voient la beauté et la splendeur du lieu, et ils veulent y rester. Les messagers du roi leur disent alors : Ce que tu cherches est encore plus en avant ! Ils se lèvent donc et quittent la station. Lorsqu’ils arrivent à la deuxième station, ils trouvent qu’elle est encore meilleure que la précédente, alors ils veulent y demeurer. Les messagers les font voyager jusqu’à la station qui est au-delà. Ainsi ils traversent les stations, l’une après l’autre, jusqu’à arriver jusqu’au roi. Les messagers leur disent alors : Vous voici avec votre Seigneur ! Ils sont donc soulagés de leur fatigue et peuvent rester assis et contempler. Les messagers, ce sont les prophètes que Dieu a envoyés et leurs représentants de parmi ceux qui suivent leurs pas, ceux qui unissent la Shari’a et la réalité (Haqiqa). Les stations sont celles que le cheminant traverse”.

        Ash-Shushtari a indiqué que l’on ne doit pas s’arrêter à ces stations ou aux miracles. Il a dit :

        Ô cheminant, ne te tourne pas vers l’altérité, tout ce qui est autre que Dieu

                est autre. Utilise Son invocation (dhikr) comme d’une protection.

        Ne t’installe pas dans une station -elle n’est qu’un voile.

                Sois prompt au voyage et recherche le secours.

        Dès que tu vois les rangs qui s’exposent à toi,

                quitte-les. Nous l’avons fait.

        Dis : “Je n’ai de visée que Ton Essence”.

                Les formes manifestées ne sont pas et il n’y a aucun choix possible.

        Sache que les attitudes spirituelles que le shaykh a mentionnées dans ce chapitre s’appliquent aux connaissants en Dieu, bien que les autres sont aussi concernés. Cela s’applique aussi pour les autres car on peut en faire une généralité : tout cheminant s’élève à une station et devant lui se trouve le chemin qui doit emprunter pour se compléter. Et Dieu le Très-Haut sait mieux.

        Puis il [Ibn ‘Ata- Allah] évoque la cinquième attitude spirituelle vis-à-vis de Dieu, qui est celle de cesser de Le chercher et de Lui demander quelque chose. Cela indique que le véritable courtoisie spirituelle, c’est d’abandonner la recherche !

Lui demander quelque chose c’est le suspecter, Le chercher c’est être absent de Lui,

Chercher quelqu’un d’autre c’est manquer de pudeur envers Lui,Et demander à quelqu’un d’autre c’est être très loin de Lui !


[1]En soufisme on nomme fana l’extinction de soi en Dieu, et baqa la subsistance en Lui, dans l’obéissance aux lois de ce monde.