Hikma n°34 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Lui demander quelque chose c’est le suspecter, Le chercher c’est être absent de Lui, Chercher quelqu’un d’autre c’est manquer de pudeur envers Lui,Et demander à quelqu’un d’autre c’est être très loin de Lui !

Lorsque tu Lui demandes quelque chose, c’est par retraite du monde ou par humble prière. Lorsque tu Le cherches, c’est par investigation et par déduction. Chercher quelqu’un d’autre que Lui, c’est manquer de pudeur et de sincérité. Et demander à quelqu’un d’autre que Lui, c’est par flatterie ou par requête. Il résulte quatre attitudes : la recherche du Réel et Lui demander quelque chose, le recherche du faux et lui demander quelque chose. Seuls les gens de la connaissance de Dieu savent cela.

        Pour ce qui est du fait de Lui demander quelque chose, tu le fais parce que tu doutes de Lui : tu lui adresses tes requêtes par peur qu’Il t’oublie ou bien qu’Il te néglige. Mais on ne peut réveiller quelqu’un que pour qui l’assoupissement est possible et on ne peut rappeler quelqu’un que pour qui l’oubli est possible ! “Et Dieu n’est certainement jamais inattentif à ce que vous faites”. (Coran 2 : 74) “Allah ne suffit-il pas à Son adorateur ?” (Coran 39 : 36) Le Prophète -sur lui la paix et le salut -a dit : “Celui qui, en M’invoquant, oublie de m’adresser une requête, Je lui donnerai plus qu’à ceux qui le font”.

        Il est donc meilleur pour le connaissant de Dieu de rester silencieux sous le passage des décrets que la retraite et l’humble supplication. Le shaykh de nos shaykhs, Moulay al-’Arabi, a dit : “le véritable faqir ne recherche pas d’états. S’il doit rechercher quelque chose, que ce soit la connaissance ultime de Dieu.

        Lorsqu’on procède à des supplications, ce doit être par pur esprit de servitude et de sagesse, et non pas une demande de recevoir son lot. Et cela parce que, de toute manière, ce qui t’est destiné t’arrivera de toutes les façons. Si tu Lui demandais de ne pas le recevoir, Il ne te répondrait pas. Il y a divergence parmi les soufis au sujet du fait qu’il vaille mieux supplier ou rester silencieux. Chacun doit interroger ce qui lui a été donné à voir, et ce qui a élargi sa poitrine[1]. Voilà ce qui lui est demandé de faire !

        Le chercher, c’est la preuve que tu es séparé de Lui par ta propre existence. Si ton coeur était dans la Présence et si tu étais absent à toi-même et à l’illusion, tu ne trouverais rien en dehors de Lui.

        Je te vois interroger les gens au sujet de Najd alors que tu y es,

                et au sujet de Tihama. Voilà un agissement de celui qui doute encore.

        Ibn al-Marhal as-Sibti a dit :

        Chose incroyable que je me languis d’eux

                et que je m’enquiers d’eux auprès d’autres

                alors qu’ils sont toujours avec moi !

        Je verse des larmes et pourtant ils sont mes yeux.

                Mon coeur se lamente de la distance alors qu’ils sont dans ma poitrine !

        Ar-Rifa’i a dit :

        Ils m’ont dit : Oublies-tu parfois Celui que tu aimes ?

                Je leur réponds : Ô gens ! Comment oublie Celui qui est mon âme ?

        Comment L’oublier alors que toute chose tient sa beauté de Lui ?

                Chose mystérieuse que l’esclave oublie son Maître.

        Il n’est pas absent de moi, mais je ne Le vois pas.

                Je dis haut et fort : Dites : Il est Dieu !

        Pour ce qui est de chercher quelqu’un d’autre que Lui, c’est à dire de chercher une reconnaissance autre que la Sienne, tu le fais par outrecuidance et par manque d’intimité avec Lui. Ton outrecuidance envers Lui est telle qu’Il te convoque à entrer en Sa Présence et tu le fuis par insouciance. C’est comme une personne qui se voit entrer en Présence du Roi et qui, alors que le Roi arrive, tourne le dos vers quelqu’un d’autre. Voilà qui est révélateur d’une attitude éhontée et d’un manque d’intérêt porté au Roi. Celui-là mérite d’être reconduit à la porte ou traité comme un animal.

        La preuve que tu manques d’intimité avec Lui c’est que, si tu étais intime avec Lui, il t’aurait voilé Sa création et il t’aurait paru inconcevable pour toi de chercher à le connaître ; et tu t’en serais donc détourné. Lorsqu’Il te rend intime avec Lui, il te rend, par là même, étranger à Sa création. L’intimité avec les hommes est signe de faillite. Lorsque tu te tournes vers le Réel tu te détournes de la création, et lorsque tu te tournes vers la création tu te détournes du Réel. Et on considère que l’un des principes de la Voie est de se détourner de la création en toute action[2].

        Pour ce qui est de demander quelque chose à un autre que Lui, tu le fais à cause de la distance qui se trouve entre toi et Lui. Si tu avais réalisé Sa proximité -et Il est le Généreux -tu n’aurais à t’adresser à personne. Le Munajat[3] te décrira la manière d’adresser des requêtes pour autrui si tu n’es pas habitué à demander des faveurs spécifiques.

        Dans un des Livres révélés, Dieu dit : “Lorsque Mon serviteur a un (véritable) besoin et qu’il Me demande secours, Je connais la véracité de son intention. Même si les sept cieux et les sept terres conspiraient à son encontre, Je décréterais pour lui l’aisance et la bonne issue pour son souci. Lorsque Mon serviteur a un besoin et qu’il demande secours à un autre que Moi, la terre s’effrite sous ses pieds, les cieux s’affaissent au-dessus de lui, et le lien entre lui et Moi se rompt”.

        La courtoisie spirituelle adéquate, c’est de se contenter de la connaissance de Dieu, de la réalisation spirituelle de cette gnose, de se contenter de Lui de manière à n’éprouver aucun besoin de secours venant d’un autre que Lui. Et Dieu sait mieux.

        Puis il [Ibn ‘Ata- Allah] évoque la sixième attitude spirituelle : le soumission et le contentement du Décret divin. Il dit :

Pas un souffle que tu émets sans qu’Il réalise en toi un de Ses décrets.


[1]C’est à dire : chacun doit se baser sur ce qui lui a été révélé en son coeur. S’il suit cette inspiration, alors il sera dans le Vrai.

[2]Ibn ‘Ajiba ne promeut pas le monachisme, qui n’existe pas en Islam. La retraite, en Islam, n’est que temporaire. Il s’agit ici d’être, comme le veut l’adage soufi, “dans le monde sans en être”, ou encore, de suivre l’indication du Prophète -sur lui la paix et le salut : “Soyez dans ce monde comme un étranger ou un passant”. La création n’est pas une fin en soi, elle n’est pas suffisante à elle même. Elle est le moyen donné aux hommes de connaître et d’exalter Dieu.

[3] Les entretiens confidentiels d’Ibn ‘Ata- Allah, publié avec les Hikam, Arché, 1999.