Hikma n°43 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

“Que celui qui est dans l’aisance dépense selon son aisance” (Coran 65 : 7) Ce sont ceux qui sont arrivés à Lui ; “Et celui à qui son attribution a été mesurée” (Ibid.) :ce sont ceux qui cheminent encore vers Lui.

        “Ce sont ceux qui sont arrivés jusqu’à Lui”, car lorsque leurs esprits s’évadent de la contraction des êtres sensibles vers l’espace dilaté de l’attestation et de la vision, ou, pourrait-on dire, lorsque leurs esprits s’élèvent du monde des formes jusqu’au monde des esprits, ou du monde du Mulk vers le monde du Malakut, alors l’arène des connaissances leur est ouverte et les entrepôts secrets de la compréhension leurs sont ouverts. Ils peuvent dépenser sans compter les joyaux de la compréhension intérieure qu’ils puisent dans l’immensité de leur fortune et les rubis du secret caché dans les entrepôts du trésor. Leur être s’élargit et chevauche la monture d’une parole riche et éloquente. Voyez avec quelle rapidité l’aisance est octroyée à celui qui se montre attentif à Dieu ! Voyez combien est immense l’ouverture spirituelle donnée à celui qui se montre présent ! Dieu a des hommes tels que celui qui les regarde ressent un tel degré de bonheur qu’après les avoir vu, il ne sera plus jamais attristé. Ce sont les hommes du secret et de l’état spirituel.

        “Ceux qui cheminent encore vers Dieu”, ce sont ce qui restent dans la restriction de l’être phénoménal et qui sont emprisonnés dans le monde des formes, dans la prison de l’illusion. Aucun entrepôt de la compréhension ne leur est ouvert. Ils sont bien trop occupés à livrer bataille (jihad) contre eux-mêmes et à s’efforcer de purifier leurs âmes, enfermés dans leurs connaissances et dans une compréhension restreinte des choses ! Si au cours de leur voyage il leur est donné de comprendre, ils sont libérés du cantonnement des êtres et peuvent poursuivre le voyage et s’élancer dans les prairies de la connaissance. Ils gagnent enfin ce à quoi ils aspiraient et sont enrichis après avoir été éprouvés. Ils reviennent alors du chemin ! Ou alors ils s’égarent et se perdent.

        Si tu désires que la connaissance des saveurs te soit dévoilée, alors défais-toi de l’idée d’emporter des provisions pour le voyage. Tant que tu œuvres à déterrer le trésor des autres, tu ne déterreras jamais ton propre trésor ! Alors délies-toi du monde matériel et demande la subsistance à Dieu et Il déversera sur toi des dons. “Les aumônes ne reviennent qu’aux besogneux et aux indigents…” (Coran 9 : 60) Si tu veux recevoir les dons, alors fais-toi pauvre et besogneux (de Lui).

        Lorsque l’ouverture spirituelle tardait à venir à Ibn Maymuna, son maître, le shaykh ad-Dabbas, qui l’attendait, le trouva en train de lire la Risala d’al-Qurayshi[1]. Il lui dit : “Mets ton livre de côté et creuse au fond de toi-même : un puits jaillira pour toi. Sinon, laisse-moi !” Le succès est auprès de Dieu !

        Puis il [Ibn ‘Ata- Allah] donne la raison pour laquelle l’expansion des connaissances revient à ceux qui arrivent plutôt qu’à ceux qui voyagent encore. Les voyageurs s’arrêtent aux lumières et ceux qui sont arrivés sont parvenus jusqu’à la lumière des lumières. Les voyageurs s’arrêtent aux lumières et donc ils en ont besoin et ils sont possédés par elles. Il dit :

Ces derniers sont conduits à Lui par les lumières de l’orientation,

Tandis que les premiers possèdent les lumières du face à face.


[1]Célèbre traité soufi du XIe siècle. L’ambition spirituelle du shaykh ad-Dabbas est de taille, vu que al-Qushayri (mort en 1072) comptait parmi ses lecteurs des soufis aussi illustres qu’Ibn ‘Arabi.