Hikma n°44 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Ces derniers sont conduits à Lui par les lumières de l’orientation, Tandis que les premiers possèdent les lumières du face à face. Ceux-là sont pour les lumières, ceux-ci, les lumières pour eux, Car ils sont à Dieu et à rien d’autre : “Dis : Dieu, puis laisse-les dans leurs discussions s’amuser.” (Coran 6 : 91)

        Les lumières de l’orientation[1]sont les lumières de l’Islam, la soumission, et de l’iman, la foi, et les lumières du face à face, ce sont les lumières de l’excellence, al-ihsan[2]. On peut dire aussi que les lumières de l’orientation sont les lumières de l’extérieur et de l’obéissance intérieure et les lumières du face à face sont celles de la réflexion et de la vision. Ou encore que les lumières de l’orientation sont celles de la Shari’a et de la Voie (tariqa), tandis que les lumières du face à face sont celles de la Réalité (haqiqa). Ou encore que les lumières de l’orientation sont les lumières de l’effort et de l’endurance, alors que les lumières du face à face, de la rencontre, sont celles de la contemplation et du dialogue pur.

        Cela a une explication : Dieu le Très-Haut veut dans un premier temps relier son serviteur à Lui par la douceur de l’acte d’adoration extérieur, qui est la station de l’Islam, la soumission. Ainsi il est guidé par l’acte et il s’efface dans sa douceur. Puis il se tourne vers Lui, guidé par la lumière de la douceur de l’acte intérieur, qui est la station de la foi (iman), de la sincérité, la véracité, la tranquillité, l’intimité avec Dieu et l’aliénation du tout-autre. Ainsi il est guidé et effacé dans cette lumière, et il goûte à sa douceur et s’enracine dans la constance. Cette lumière est meilleure et plus parfaite que la première.

        Puis il se tourne vers Lui, guidé par la lumière de la douceur de la vision. C’est l’acte de l’esprit pur, la rencontre, le face à face. Il est submergé de stupeur, d’émerveillement et d’ivresse. Lorsqu’il reprend ses esprits après cette ivresse, qu’il retrouve sa sobriété après son ravissement, sa vision de Dieu devient permanente, il reconnaît le Roi Glorieux et parvient à la subsistance de l’être en Dieu (baqa). Il est alors pour Dieu et par Dieu. Il n’a plus besoin de la lumière qui l’a guidé à la lumière des lumières car lui-même est devenu la lumière et les lumières sont à lui, après qu’il ait été la possession des lumières à cause de sa dépendance d’elles afin de parvenir à leur source. Lorsqu’il arrive, il devient le serviteur absolu de Dieu, libre de tout-autre. Intérieurement il est soumis et extérieurement il est libre !

        Tant que l’aspirant à Dieu est encore sur le chemin, il est guidé par les lumières de l’orientation et il en a besoin afin qu’elles le guident. Quand il arrive à la station de la contemplation, il obtient la lumière du face à face et n’a plus besoin de rien d’autre et de rien de moins que Dieu. Les cheminants sont ceux qui cheminent en direction des lumières, car ils en ont besoin pour avancer ; ils se réjouissent donc de leur existence. Quand à ceux qui sont arrivés, ils possèdent les lumières car ils sont récompensés par Dieu au-delà de leurs besoins. Ils sont pour Dieu et par Dieu, sans associé.

        Puis le shaykh récite ce verset aux gens de l’allusion spirituelle (ishara) : “Dis : Dieu..” avec ton coeur et ton esprit (ruh) et retire-toi de tout-autre-que-Lui. Puis laisse les gens : “…dans leurs discussions s’amuser”, c’est à dire, laisse-les plonger dans l’altérité et jouer avec passion. Un commentateur a critiqué le fait que les soufis citent ce verset, car il ne comprenait pas ce qu’ils voulaient montrer en le citant. “Chacun parmi les gens put connaître son abreuvoir.” (Coran 2 : 60)[3]Le shaykh Ibn Abbâd a dit : “En fais pas des gens de l’extérieur des preuves contre les gens de l’intérieur”, car la clairvoyance des gens de l’intérieur est subtile et ils brodent avec délicatesse. Eux seuls saisissent leurs allusions spirituelles. Puissions-nous, par la volonté de Dieu, bénéficier d’eux et les rejoindre, Amen !

        Voici la fin du deuxième chapitre. Pour résumer, il a abordé les convenances spirituelles et les signes du connaissant en Dieu. Les convenances spirituelles sont du nombre de huit. Les signes étaient de quatre : le retour à Lui en toute chose, la confiance en Lui en tout état, la retraite en Lui loin de tout-autre et le fait d’être guidé à Lui par toute chose, l’expansion des arènes de la connaissance, l’ouverture des entrepôts de la compréhension, l’arrivée, par les lumières, au face à face et le retrait de celles-ci par la contemplation de l’Unique, le Conquérant.

Scruter les défauts cachés en toi vaut mieux que chercher à découvrir les choses invisibles qui te sont voilées.


[1]L’orientation, ou tawwajuh : le fait de tourner sa face (wajh) vers.

[2]Ces trois notions islam – iman – ihsan représentent les différents degrés de la religion selon l’enseignement de l’Archange Gabriel dans un hadith célèbre. A noter que al-ihsan, l’excellence, se caractérise par la justesse absolue dans l’action et l’intention, car “si on ne Le voit pas, Lui nous voit”. D’où l’idée du “face à face”.

[3]Par cette citation, Ibn ‘Ajiba veut montrer implicitement que celui qui ne comprend pas les allusions spirituelles du soufisme doit boire à la même source qu’eux, car, suivant l’expression soufie, en matière de religion, “certains l’ont bu chaud, et d’autres l’ont bu froid” !