Hikma n°65 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Les bonnes oeuvres sont la conséquence des bons états : ceux-ci sont le fruit de l’enracinement dans les demeures où l’on stationne.

            Les actions, ce sont les mouvements du corps du a un effort, alors que les états sont les mouvements du coeur. Par la constance, le coeur se tranquillise au fur et à mesure qu’il traverse les stations spirituelles. Prenons, pour illustrer cela, la station du détachement. Elle commence par l’action : l’effort assidu déployé à abandonner ce monde et les causes intermédiaires et puis la constance dans l’acceptation de la pauvreté (spirituelle) jusqu’à ce que l’état devienne une demeure où l’on stationne, et le coeur se mobilise et goûte à sa douceur. C’est à ce moment là que l’état devient une station. C’est la même chose avec la confiance en Dieu. L’acquisition de cette station commence par l’effort d’abandonner sa dépendance intérieure des choses intermédiaires, puis la constance dans l’acceptation de la dureté des coups du Décret, jusqu’à ce que cela devienne un état intérieur et que le coeur s’y immobilise et goûte, et l’état se transforme alors en station. Et c’est la même chose avec la connaissance spirituelle. Son acquisition commence par l’effort dans l’action extérieure de briser les schémas habituels de l’ego, et elle se poursuit par la constance dans la connaissance spirituelle et la réalisation des sciences qui devient alors un état intérieur. Lorsque l’esprit se mobilise et s’enracine dans la contemplation, l’état devient une station.

            Les états sont donc des dons et les stations sont des acquisitions. Lorsque les actions et l’état se prolonge, cela devient une station. Les états sont donc variables et ils vont et viennent. Dès lors que le coeur prend demeure dans la signification subtile de l’état, il entre dans une station, acquise donc par la constance dans l’action.

Sache que chaque station possède un moyen d’y parvenir par la conscience qu’elle existe et l’action. On se relie donc à la station d’abord par la connaissance que l’on en a. Puis on s’applique dans ses actions afin que cette connaissance devienne un état, puis une station. La même chose est vraie pour les états : on se relie d’abord à l’état par la connaissance préalable, puis on s’applique dans l’action. C’est alors que l’état devient un état-station. Et Dieu sait mieux !

            Les signes de la réalisation des stations où l’on demeure, ce sont les bons états et les signes des bons états, ce sont les bonnes oeuvres. Les bonnes oeuvres sont des évidences de la réalisation des stations où Dieu a mis Son serviteur et les bonnes actions sont des évidences des bons états, et la réalisation de l’état ainsi que la tranquillisation du coeur dans la station sont des chose intérieures qui apparaissent d’abord sur les membres du corps.

            Pour résumer, le mouvement du corps révèle la pureté ou la corruption du coeur, comme le dit le Prophète -sur lui la paix et le salut : “Il y a un morceau de chair qui, lorsqu’il est pur, alors le corps tout entier est pur et s’il est corrompu, alors le corps tout entier est corrompu : il s’agit du coeur”. Lorsque le coeur réalise le détachement (zuhd), par exemple, et que ce dernier devient un état ou une station, alors le détachement apparaît sur les membres du corps par l’abandon à Dieu, la confiance en Lui et le manque d’agissements provoqués par un attachement aux moyens intermédiaires, selon les paroles du Prophète : “Le détachement ne s’obtient pas par l’action de rendre illicite ce qui est licite, ou par la dilapidation de ce que l’on possède. Le détachement, c’est de faire confiance à ce qui entre les mains de Dieu plus qu’à ce qui est entre nos mains”.

            Abu Bakr as-Siddiq -que Dieu l’agrée -apparut en songe à Abu l-Hassan ash-Shadili et lui dit : “Le signe que l’amour attachant au monde quitte le coeur, c’est de dépenser ce que l’on possède de ce monde lorsqu’on l’a en possession, et la tranquillité du coeur lorsqu’on ne le possède pas. Le signe que la confiance descend en soi, c’est la tranquillité et la fixité lorsque les moyens de ce monde changent. Le signe que la connaissance spirituelle descend en soi, c’est le comportement vertueux externe et interne, et le bon caractère envers chaque créature”.

            C’est la raison pour laquelle Abu Hafs al-Haddad a dit : “Le bon comportement extérieur est le signe du bon comportement intérieur”. Le Prophète -sur lui la paix et le salut- a dit : “Si le coeur est humble, alors le corps et ses membres sont humbles”.

La meilleure des oeuvres que l’aspirant réalise, ce sont les stations, et la station la plus proche est celle de l’invocation de Dieu (dhikr)[1]. Voilà pourquoi il [Ibn ‘Ata- Allah] dit :

N’abandonne pas le rappel de Dieu (dhikr), parce que tu n’y est pas présent à Dieu. Car la négligence du rappel de Dieu est pire qu’une négligence dans le rappel de Dieu. Il se peut que Dieu t’élève  d’un rappel fait avec négligence à une autre faite avec vigilance, Et de celle-ci, à un rappel où tu Lui deviens présent, Et de celle-ci encore, à une autre où tu deviens absent à tout ce qui n’est pas l’objet de ton rappel : “Et cela pour Dieu n’est point difficile”. (Coran 14 : 20)


[1]Le dhikr peut se traduire par mention, rappel, remémoration, invocation. Dans le soufisme il est l’invocation sacrée de Dieu où, par la répétition d’un Nom ou d’un verset Coranique, le sens subtil de l’Invoqué est réalisé dans le coeur de l’invocateur, qui s’efface devant le Remémoré. La traduction la plus exacte serait “théomnénie”.