Hikma n°77 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Il appartient à la lumière de dévoiler, à l’oeil intérieur, de juger, et au coeur, de se porter en avant ou de reculer.

La fonction de la lumière est de dévoiler les choses et de les éclairer afin que la beauté puisse se distinguer de la laideur. Une des tâches de l’oeil du coeur est de considérer la beauté comme étant belle et la laideur comme étant laide. Le coeur tout entier peut alors avancer vers ce dont la réelle beauté lui est confirmée, et de quitter ce qu’il voit de la laideur des choses. Ou encore, plus simplement : le coeur accepte ce qui lui fait du bien et rejette ce qui lui cause du tort. C’est comme un homme qui entre dans une maison sombre où se trouvent des serpents et des scorpions, mais aussi des lingots d’or et d’argent. Comme il est dans le noir, il ne sait pas ce qu’il doit ramasser et ce qu’il doit laisser par terre, car il ne sait pas ce qui lui fera du bien et ce qui lui causera du tort. Mais, en revanche, s’il entre avec une lanterne à la main, la maison sera éclairée et il pourra faire la part des choses entre le bien et le mal.

            C’est la même chose pour le coeur du croyant désobéissant : il ne sait pas distinguer l’amertume de la désobéissance de la douceur de l’obéissance. Dès lors que le coeur du croyant s’illumine de la lumière de la crainte pieuse, il reconnaît ce qui lui fera du mal et ce qui lui fera du bien, et il discerne le vrai et le faux. Dieu le Très-Haut dit : “O vous qui croyez ! Si vous craignez Dieu, Il vous accordera la faculté de discerner…” (Coran 8 : 29), c’est à dire la faculté de distinguer le vrai du faux. Dieu le Très-Haut dit aussi : “Est-ce que celui qui était mort et que Nous avons ramené à la vie et à qui Nous avons assigné une lumière grâce à laquelle il marche parmi les gens, est pareil à celui qui est dans les ténèbres sans pouvoir en sortir ?” (Coran 6 : 122) ; et Il dit : “Est-ce que celui dont Dieu ouvre la poitrine à l’Islam et qui détient ainsi une lumière venant de son Seigneur…” (Coran 39 : 22)

            La lumière qui dévoile, c’est la lumière des touches mystiques qui sont les montures qui portent les coeurs jusqu’au Connaissant des mondes de l’Invisible. La première, c’est la touche de l’éveil, dont la fonction est de dissiper les ténèbres de l’inconscience. La lumière de la certitude apparaît alors dans le coeur qui peut juger l’inconscience et la lucidité comme étant laides et belles. Puis le coeur avance à la remémoration de son Seigneur et se retire de tout ce qui le rend oublieux de Dieu. C’est la lumière des désireux de Dieu.

La seconde, c’est la lumière de l’avancé dont la fonction est de dissiper les ténèbres de l’altérité. Lorsque la radiance des gnoses et les secrets se dévoilent par cette lumière, le coeur voit que ces connaissances sont bonnes et que l’altérité est mauvaise. Le coeur avance alors jusqu’à la radiance des secrets et se retire de l’obscurité de l’altérité. C’est la lumière des cheminants vers Dieu.

La troisième, c’est la touche mystique de l’arrivée dont la fonction est de dissiper l’obscurité du monde sensible et le manteau de la préservation (sawn). Puis les lumières des effluves du Créateur apparaissent au coeur et celui-ci avance alors jusqu’à la contemplation de son Maître et se retire du fait de se tourner vers un autre que Lui. C’est la lumière de ceux qui arrivent à Dieu. C’est celle de la rencontre et du face-à-face. Toutes les lumières qui précèdent celle-là sont des lumières de la guidance de soi.

            Si vous voulez, on peut appeler ces lumières Islam (soumission), iman (foi) et ihsan (excellence).

            La lumière de l’Islam chasse l’obscurité de la mécréance et de la désobéissance, la lumière de la soumission et de l’acceptation apparaît et l’oeil du coeur voit que la mécréance et la désobéissance sont des choses laides et que la soumission et l’acceptation de l’Islam sont des choses belles. Le coeur peut alors avancer jusqu’à l’obéissance de son Seigneur en se détournant de ce qui l’éloignerait de Lui.

            La lumière de l’iman (foi), elle, dissipe le polythéisme caché et laisse donc irradier la sincérité, la fidélité et la véracité[1]. L’oeil du coeur voit ainsi la laideur et la nocivité du polythéisme et voit la beauté de la sincérité totale et les bienfaits de cette sincérité. Le coeur peut donc avancer jusqu’à l’Unicité (tawhid) de son Seigneur et se détourner du polythéisme et de ses méfaits.

            La lumière de l’ihsan (excellence), elle, dissipe l’obscurité du tout-autre que Lui, de l’altérité, et ainsi apparaît la lumière de l’existence du Seigneur. L’oeil du coeur voit alors que l’obscurité des moyens intermédiaires entre lui et Dieu sont laides et que la lumière de Celui qui crée les effets est bonne. Le coeur tout entier peut donc avancer jusqu’à la connaissance de son Maître et se retirer complètement de tout autre que Lui.

            Si vous voulez, on peut appeler ces lumières celles de la Shari’a, de la Tariqa (Voie) et de la Haqiqa (Réalité).

            La lumière de la Shari’a dissipe les ténèbres de la torpeur et de l’insouciance dans les actes pour laisser apparaître la lumière de l’effort et de la résolution. L’oeil du coeur considère alors que la torpeur est mauvaise et que l’effort est bon. Le coeur avance alors jusqu’à l’effort des membres du corps dans l’obéissance du Seigneur et se retire de la poursuite de ses passions et de es désirs égotiques.

            La lumière de la Tariqa (Voie), elle, dissipe les ténèbres du mal et des souillures pour laisser irradier la lumière de la pureté ainsi que la connaissance de l’invisible. L’oeil du coeur considère alors que les souillures sont laides et que la pureté et la connaissance de l’invisible sont bonnes. Le coeur peut donc avancer vers les exigences de la purification et se détacher de tout ce qui l’empêche.

            La lumière de la Haqiqa (Réalité), elle, dissipe le voile obscur pour laisser apparaître les beautés des amants. Ou encore : la lumière de la Haqiqa dissipe les ténèbres que son les êtres pour que puisse apparaître la lumière de la contemplation et de la vision. Le coeur avance alors jusqu’à la contemplation des amants derrière le voile et se retire de toutes les impolitesses qui n’ont pas leur place entre amants. Puisse Dieu nous fasse être parmi ces gens là, dans ce Lieu de Paix ! Amen !

Tout comme la condition à l’obtention de ces lumières, de ces secret et de ces bienfaits est l’obéissance à Dieu, la raison de chaque obscurité, de chaque voile et de la distance de Dieu est la désobéissance. L’un des signes que le coeur est illuminé, c’est la joie qu’il éprouve à obéir et la tristesse lorsqu’il désobéit. Le shaykh nous informe donc de la signification de cette joie dans l’obéissance, qui est, comme nous venons de le dire, la condition pour recevoir la lumière dans les coeurs et les clés de l’Invisible :Que ton observance ne te réjouisse pas,  en tant qu’elle vient de toi, Mais en tant qu’elle vient de Dieu à travers toi. “Dis : par la grâce de Dieu et par Sa miséricorde. Qu’en cela ils se réjouissent, car cela est meilleur que ce qu’ils amassent” (Coran 10 : 58)


[1]Le “polythéisme caché”, dans le soufisme, désigne les fausses idoles intérieures et propres à chacun. Il s’agit donc à la fois de ses passions que l’on érige en idole et le fait de mécroire en l’Unique, de croire qu’il existe autre chose en dehors de Lui. Dissiper ces idoles, c’est donc faire preuve de foi en l’Unique et de sincérité envers Lui dans les actes d’adoration, car on n’adore que Lui.