Hikma n°79 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Il prive ceux qui sont en marche vers Lui et ceux qui sont arrivés De voir leurs actes et de contempler leurs états mystiques : Les premiers, parce qu’ils n’y ont pas encore réalisé la sincérité avec lui, Les seconds, parce que, Le contemplant, ils leur sont rendus absents.

“Priver” signifie ici retirer. Dieu a fait en sorte que ceux qui cheminent vers Lui et ceux qui sont arrivés se retirent de la vision de leurs oeuvres extérieures et de leurs états intérieurs. Les gens qui cheminent ne les voient pas car ils portent sans cesse un regard désapprobateur sur eux-mêmes. Lorsqu’ils agissent en bien ou qu’il leur advient un éveil ou une extase, ils y voient leurs lacunes et leurs imperfections et se sentent bien trop honteux devant Dieu pour s’enorgueillir. Ils se retirent alors de leurs actions et de leurs états et s’abandonnent à la faveur de leur Seigneur.

            Ce regard de vérité porté sur soi est le coeur et le secret de la sincérité dévotionnelle. Ces gens-là ont réalisé en eux-mêmes le secret de la sincérité alors ils ne voient plus leurs actions et en dépendent pas d’elles. On demanda à un connaissant en Dieu :

            “Quel est le signe que nos actions soient acceptées de Dieu ?”

            Il répondit :

            “C’est que tu les oublies et que tu ne les voies pas, car tu croiras avec certitude dans la parole de Dieu : “…vers Lui monte la bonne parole, et Il élève haut la bonne action””. (Coran 35 : 10)

            Zayn al- ‘Abidin a dit : “Si tu vois toujours tes bonnes actions, c’est la preuve qu’elles ne sont pas agrées par Dieu car les actions agrées sont élevées et sont retirées de ta vision et tu ne peux donc les voir. Pour l’agrément de Dieu, les choses sont ainsi”.

            Les gens “qui sont arrivés”, le sont par leur annihilation à eux-mêmes, retirés dans la contemplation de Celui qu’ils adorent, l’Unique. Tous leurs mouvements et leur immobilité se font par Dieu, de Dieu et à Dieu car il leur est impossible de le voir Lui et de voir un autre à Ses côtés. Lorsqu’une oeuvre d’obéissance prend forme par leur geste, ils y voient l’Unique et Sa grâce.

On raconte que lorsque al-Wasiti se rendit à Nishapur, il demanda aux compagnons d’Abu ‘Uthman :

            “Que vous a enjoint votre shaykh de faire ?”

            Ils répondirent :

            “Il nous a exhorté à l’obéissance afin que nous y voyons nos incapacités à bien obéir.”

            Il dit alors :

            “Il vous a poussés au Magianisme. Ne vous a-t-il pas enseigné que vous deviez vous retirer de vos actes par la contemplation de Celui qui en est l’origine et qui les fait se produire ?”

            Al-Qushayri, commentant ce récit, a dit : “Il voulait ainsi les protéger de l’orgueil et leur montrer la convenance spirituelle adéquate”.

            Celui qui prive et qui donne est bien Dieu, le Tout-Puissant. Sache que “ceux qui sont en marche vers lui”, selon la parole du shaykh, sont ceux du second groupe, ceux qui se réjouissent dans leur obéissance en tant qu’elle est un signe de l’agrément divin, et ils ont bien raison de se réjouir ! Ils n’auraient aucune joie à les voir pour ce qu’elles sont, mais ils les voient comme une grâce de Dieu. Puis ils cessent même de voir leur obéissance car ils réalisent leur dépendance totale de Dieu. Ils rejoignent alors le troisième groupe, ceux qui ne se réjouissent qu’en Dieu et qui ne voient rien d’autre que Lui. Et Dieu sait mieux.

            Voilà la fin du chapitre six. Pour résumé, il a traité de la guérison du coeur, du signe de leur mort, de leur maladie et de leur santé, de leur fortification par la lumière et leurs touches mystiques qui leur permettent de se retirer de la vision des stations et des états pour s’annihiler totalement au monde physique par la dilatation de l’espace de leur contemplation en Dieu. Voilà où demeurent leur honneur et leur force. Leur avilissement et leur rabaissement demeurent à l’opposé de tout cela, et c’est le fait de voir les créatures sans y voir Dieu et le fait de dépendre des êtres et non de Dieu.