Hikma n°81 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Rien ne te mène autant que l’illusion !

On est mené par quelque chose qui nous entraîne. On mène un animal lorsqu’on le tire derrière soi. Ce que le shaykh veut faire connaître, c’est le contraire de la certitude en Dieu : c’est l’attestation de la suspicion et du doute. Il dit que rien ne te mène et ne te tire en avant vers la cupidité, la flatterie des créatures et la prosternation devant leurs possessions, autant que l’illusion. Cette illusion, c’est de croire que par elles on peut obtenir une protection ou qu’elles peuvent nous causer du tort. Ou de croire que tu possèdes quelque chose lorsque tu les as, ou qu’il te manque quelque chose lorsque tu ne les a pas en main. C’est de regarder les choses humblement, dans l’espoir d’en bénéficier. Ces choses, tu les crains, tu leur donnes ta confiance, tu les désires !

            Si, en revanche, tu possèdes la certitude en Dieu, tu vois que les affaires du monde sont du ressort de Dieu, qu’elles dépendent de Sa puissance et qu’elles sont incapables de venir en aide à elles-mêmes. Comment alors penser qu’elles puissent venir en aide aux autres ? Tu dois perdre tous tes espoirs en elles et retirer d’elles ton aspiration pour la relier au Seigneur des seigneurs et abandonner les compagnons de ce monde et ses amants !

            On peut aussi dire : rien ne t’égare de la réalisation de la contemplation que ton illusion de croire à l’existence de ce monde sensible. Si le voile de l’illusion t’était retiré, tu ne pourrais que Le contempler, car tu remarquerais l’absence de toute autre source. Lorsque brille la lumière de la certitude, le monde crée est obscurci.

            Il [Ibn ‘ata Allah] dit dans at-Tanwir : “Le serviteur est retardé dans son rapprochement de Dieu par l’attraction vers le tout-autre-que-Lui. Dès lors qu’un coeur se met en route vers Dieu, les liens qui l’attachent à leurs désirs le retiennent et il pense à quitter son chemin pour retourner vers eux. A ces gens-là, la Présence de Dieu est refusée.”

            Un connaissant en Dieu a dit : “Ne crois pas que tu pourras entrer dans la Présence divine si tu es retenu en arrière par des attaches. Médites bien ces paroles de Dieu : “…le jour où ni les biens, ni les enfants ne seront d’aucune utilité, sauf celui qui vient à Dieu avec un coeur sain”. (Coran 26 : 88-89) Un coeur sain, c’est celui qui n’a pas d’attaches en dehors de Dieu. Il a dit : “Et voici que vous Nous arrivez un par un, tels que la première fois Nous vous avons crées.” (Coran 6 : 95) On peut comprendre de cela que tu ne peux pas parvenir à Dieu si tu n’es pas seul, séparé de tout autre que Lui. Il a dit : “En t’a-t-il pas trouvé orphelin ? Alors Il t’a accueilli !” (Coran 93 : 6) On peut comprendre que Dieu ne pourra t’abriter seulement si tu es l’orphelin d’un autre que Lui. Le Prophète -sur lui la paix et le salut -a dit : “Dieu est impair et Il aime l’impair” : Dieu aime le coeur qui n’est pas paré du monde de la dualité.”

            Un autre de parmi eux a dit : “Si on m’obligeait à voir un autre que Lui, je ne pourrais le voir par Ses yeux !”

Pour résumer, l’illusion, c’est le voile qui recouvre les hommes, du commun jusqu’à l’élite. Chez les gens du commun, l’illusion les rend attachés à la création et les empêche de migrer vers le Roi des rois. Ils sont bien trop occupés à regarder les amoureux de ce monde et à critiquer ceux qui s’y opposent. Ils sont doublement guidés, par l’amour de l’amoureux du monde et par la vigilance d’un guetteur. Quant à l’élite, ils sont menés par l’illusion de croire en l’existence des choses intermédiaires et de s’arrêter aux stations qu’ils traversent et à leurs lumières. L’illusion les amène à s’en contenter et de ne plus se languir de ce qui se trouve au-delà. Se sentir rassasié, c’est en réalité un privation, et être informé d’une chose, ce n’est pas la voir de ses yeux ! J’ai entendu notre shaykh dire : Les gens en sont voilés de Dieu que par leur illusion -et l’illusion est une chose sans réalité aucune !”

            Quant à l’élite de l’élite, rien ne les sépare de Dieu et ils obtiennent la connaissance et la compréhension directement de Dieu. Ils ont déchiré le voile de l’illusion et ont pu puiser la connaissance et la compréhension chez Dieu. Rien ne les rattache ici-bas et rien ne les voile de Dieu. Puisse Dieu nous rendre ainsi, parmi eux, par Sa grâce et Sa faveur !

            L’illusion produit la cupidité et la cupidité produit l’avilissement et rend esclave. La certitude produit le scrupule. Le scrupule produit la force et rend libre. Voilà ce que rappelle le shaykh :

Tu es libre vis-à-vis d’une chose  quand tu en désespères. Esclave, quand tu la convoites.