Hikma n°85 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Prends garde : s’Il t’envoie Ses faveurs, tandis que tu continues à mal agir, Il te mène insensiblement à ta perte : “Nous les conduirons à leur perte par où ils ne savent pas.” (Coran 7 : 182)

Le fait de “mener” (istadraja), c’est de cacher l’épreuve dérrière une apparance de bénédiction. Le terme vient de daraja, terme que l’on utilise pour désigner un enfant qui commence à marcher, petit à petit, et de daraj, qui désigne le fait de monter. Celui qui mène un autre, c’est celui qui prend de l’autre la bénédiction, à petits coups, de manière à ce qu’il ne s’en rende pas compte. Le Très-Haut a dit : “Nous les conduirons à leur perte par où ils ne savent pas”, c’est à dire : “Nous leur prendrons leurs bénédictions et les traînerons jusqu’au châtiment sans même qu’ils s’en rendent compte”.

            Le shaykh Zarruq a dit : “Ô disciple ! Crains que la faveur de Dieu, la santé, le temps libre, l’abondance en biens et le soutien physique et spirituel, alors que tu te comportes pourtant mal, que tu n’est pas reconnaissant pour tout cela envers le Roi Majestueux, crains que tout cela ne soit juste un moyen de te mener (vers ta perte) ! Dieu le Très-Haut a dit : “Nous les conduirons à leur perte par où ils ne savent pas”.

            Sahl ibn ‘Abdullah paraphrasé le verset ainsi : “Nous leur apportons leur aide par nos bénédictions et puis nous les rendons aveuglés par la bénédiction et ingrats vis-à-vis de Nous. Lorsqu’ils deviennent dépendants de la bénédiction et qu’elle les voile du Bénissant, Nous les reprenons !

            Ibn ‘Ata-, lui, a repris le verset ainsi : “Lorsque les hommes commettent une erreur, Nous leur donnons une bénédiction et faisons en sorte qu’ils oublient de Nous remercier pour ce qu’ils ont reçu. Mais Dieu dit : “Et Je leur accorderai un délai…” (Coran 7 : 183), c’est à dire : Nous les soutiendrons encore par le bien-être et la bénédictions, jusqu’à ce que Nous les saisissions, que nous les reprenions. Dieu le Très-Haut dit : “Puis, lorsqu’ils eurent oublié ce qu’on leur avait rappelé, Nous leur ouvrîmes les portes donnant sur toute chose : et lorsqu’ils eurent exulté de joie en raison de ce qui leur avait été donné, Nous les saisîmes soudain, et les voilà désespérés”. (Coran 6 : 45), c’est à dire : lorsqu’ils oublient de se rappeler le châtiment qui s’applique aux non reconnaissants, Nous leur ouvrons les portes de la bénédiction et leur élargissons les portes de l’abondance, afin qu’ils exultent dans la bénédiction qu’ils ont reçue et qui les guide aveuglément. Puis, soudain, nous reprenons tout par Notre pouvoir de destruction et les hommes désespèrent en toute chose.”

            Voilà comment Dieu procède dans Sa création : les bénédictions servent à diriger et à désigner Dieu. Lorsque les hommes se détournent de Lui et Le rejettent, alors Il leur élargit leur abondance afin qu’ils s’y sentent bien et qu’ils y exultent. Puis Il saisit tout, de manière si abrupte qu’il s’agit là d’un châtiment bien plus éprouvant pour l’homme. Un poète a dit : “L’avènement tient sa force de sa soudaineté”. Dieu le Très-Haut a dit : “Que ceux qui n’ont pas cru ne comptent pas que ce délai que Nous leur accordons soit à leur avantage. Si nous leur accordons un délai, c’est seulement pour qu’ils augmentent leurs péchés. Et pour eux un châtiment avilissant”. (Coran 3 : 178)

            Il incombe donc à l’homme, dès lors qu’il se rend compte de la bénédiction qu’il reçoit de Dieu, qu’elle soit interne ou externe, ou bien spirituelle, qu’il reconnaissance sa provenance et qu’il se hâte à la reconnaissance par la langue, par la foi et dans ses actions. Pour celui-là toute mouvement de son corps est une louange, et tout mouvement de langue est une reconnaissance. “La foi”, ici, c’est le fait de voir le Bénissant dans Sa bénédiction et donc de reconnaître qu’elle vient de Lui et donc de retirer ainsi son coeur de la vision des moyens intermédiaires, tout en exprimant la reconnaissance par la langue.

            On dit : “Celui qui n’est pas reconnaissant envers les hommes, ne l’est pas envers Dieu”. Le fait de remercier les gens, c’est une manière de remercier Dieu. Lorsque tu dis à quelqu’un “Que Dieu te le rende !”, tu montres ta reconnaissance envers Dieu. La reconnaissance dans l’action, c’est, nous l’avons déjà évoqué, d’employer son corps à des actes de piété et d’obéissance. Si le corps manque d’accomplir ces actes, on peut craindre que la bénédiction lui soit retirée et que Dieu le mène petit à petit vers sa perte. Voilà qui est laid !

Pour résumer : la reconnaissance, c’est la convenance spirituelle (adab) vis-à-vis de Celui qui octroie et c’est la politesse envers celui qui te fait parvenir le don de Dieu. Si on fait preuve d’impolitesse, alors on est puni. Et on peut aussi être puni de l’intérieur, comme le dit le shaykh dans ce qui suit :

Si le châtiment tarde à venir, tandis qu’il se comporte mal avec Dieu, le novice se dit dans son ignorance : si mon comportement était répréhensible, Il aurait arrêté Ses secours, en m’éloignant de Lui. En vérité, Il les a arrêtés, et tu l’ignores, ne fût-ce qu’en te privant de tout surcroît de grâces. Et Il t’a déjà rejeté loin de Lui, sans que tu le saches, ne fût-ce qu’en te livrant à tes caprices.