Hikma n°86 – Ibn ‘Atâ’i -Llâh Al-Iskandarî commenté par Ahmad Ibn Ajiba

Si le châtiment tarde à venir, tandis qu’il se comporte mal avec Dieu, le novice se dit dans son ignorance : si mon comportement était répréhensible, Il aurait arrêté Ses secours, en m’éloignant de Lui. En vérité, Il les a arrêtés, et tu l’ignores, ne fût-ce qu’en te privant de tout surcroît de grâces. Et Il t’a déjà rejeté loin de Lui, sans que tu le saches, ne fût-ce qu’en te livrant à tes caprices.

L’un des ordres bien connus que le disciple doit mettre en pratique, c’est le bon comportement (adab) envers Dieu en toute chose, de L’exalter en toute chose et d’avoir du respect pour Lui en toute chose. S’il manque à cette règle, alors il a un mauvais comportement envers son Seigneur. Il doit se presser de se repentir et de rechercher la pardon avec humilité et rabaissement. S’il remet le repentir à plus tard, le secours de Dieu lui est repris, il se retrouve exiler et distancié de Dieu même s’il ne s’en rend pas compte. Le novice arrive, au contraire, à se convaincre qu’il bénéficie de la faveur divine, en se disant : “Si mon comportement était répréhensible, Il aurait arrêté Ses secours, en m’éloignant de Lui”. Voilà de sa part une ignorance abominable qui le mènera à sa perte s’il ne retrouve pas la faveur du Seigneur des mondes !

            Le disciple fait avant tout preuve d’ignorance car il se range du côté de son ego et se comporte très mal sans se rendre compte des imperfections de son coeur. S’il était au fait des pièges de l’ego, il l’aurait tout de suite soupçonné et ne serait pas venu le secourir. S’il avait était connaissant de ces pièges, il aurait reconnu le Seigneur et il aurait tout de suite l’imperfection de son coeur. En agissant de la sorte, le novice combine donc l’ignorance et la sottise. L’ignorance, c’est son mauvais comportement et la fait qu’il ne voie pas son mauvais comportement; la sottise, c’est qu’il riposte avec son ego sans reconnaître ce qui constitue un faute de mauvais comportement, sans parler du fait qu’il nie toute probabilité d’un châtiment à son égard si vraiment il avait mal agi ! S’il agit mal, il ne sent même pas qu’il est coupé de Dieu et qu’il est contraint à l’exil et à la distance. Et ils sont conduits être coupé de Lui “par où ils ne savent pas”. Nous pouvons illustrer ces propos par l’exemple d’un arbre qui pousse sur l’eau. Lorsque l’arbre en est coupé, il met un moment avant de montrer des signes de dessèchement. Si la distance d’avec l’eau perdure, alors il se dessèche pour de bon. Le coeur du disciple est comme cet arbre. Tant qu’il est noyé dans son illusion et dans le monde sensible, il ne se rend pas compte de son éloignement de Dieu. S’il est prédestiné au bien, il s’en rend compte et se repent de son ignorance et il rétablit le tort qu’il a causé et par son repentir, le secours lui est rendu. S’il ne l’est pas, alors son âme retourne chez elle, très loin de Dieu. Que Dieu ne nous nous enlève pas Sa bénédiction après nous l’avoir accordée !

Même si la punition n’est que d’être privé d’évolution et d’ascension spirituelles, elle suffit pour déchoir l’homme, car si on n’évolue pas, on régresse. Si aujourd’hui quelqu’un est moins loti que hier, alors il a perdu quelque chose ! S’il a perdu le bon comportement envers Dieu, alors les mots qu’il se trouve pour se justifier ou pour se défendre le placent d’emblée dans une relation de distance, et révèle la station où il se trouve, une station distante. Et dans sa distance il se croit être dans la proximité ! Et les stations de distance et de proximité sont infinies. Il n’y a pas de station de proximité où la suivante n’est pas plus élevée, et ainsi de suite. Il en est de même pour la distance. Si ce n’était pas le cas, alors tu pourrais te contenter d’être dans une certaine proximité tout en maintenant un bon comportement, car c’est déjà un moindre mal, et il vaut mieux en être là que de nourrir ses appétits et ses passions mondains. Le fait de sortir de ses passions et de se tourner vers Dieu est le signe qu’il se préoccupe de Dieu. Mais lorsque Dieu se préoccupe vraiment de son serviteur au point de vouloir lui faire connaître Sa Présence, Il met en branle absolument toutes les dépendances de son ego et le retourne, bon gré mal gré, jusqu’à ce qu’il désespère totalement de ce monde et qu’il ne dépende de plus rien du tout. Puis Il le choisit pour accéder à Sa Présence et à Son amour. Dès lors, le serviteur ne reçoit plus aucune nouvelle de son ego et ne réside nulle part sinon en Dieu.

            Nous pouvons nous baser sur l’histoire de Moïse (Mussa) -sur lui la paix -lorsque Dieu lui fit voir l’amour qu’il portait à son bâton, et sa dépendance à celui-ci. Dieu lui demanda : “Et qu’est-ce qu’il y a dans ta main droite, ô Moïse ? / Il dit : “C’est mon bâton sur lequel je m’appuie, qui me sert à effeuiller les arbres pour mes moutons et j’en fais d’autres usages”. / [Dieu lui] dit : “Jette-le, ô Moïse”. / Il le jeta : et le voici un serpent qui rampait.” (Coran 20 : 17 : 20)

            Lorsque Moïse s’effraya et que son bâton perdit la valeur qu’il lui donnait, Dieu lui dit : “Prends-le, ô Moïse, et ne t’effraie point”, car le bâton ne  pouvait lui faire de mal dès lors qu’il lui avait permis un retour à Dieu. De la même façon nous disons au disciple : “Qu’est-ce que tu as dans ta main droite, faqir ?” Il répond : “Je tiens ce monde, duquel je dépends et sur qui je fonde tous mes espoirs”. Nous lui disons alors : “Jette-le, ô faqir !” Et lorsqu’il le jette il le voit devenir un serpent qui rampe et qui l’avait mordu sans qu’il ne s’en rende compte. Mais comme à ce moment-là il perd tous les espoirs qu’il avait nourri vis-à-vis de ce monde et qu’il est rendu intime avec Dieu et qu’il Lui accorde sa pleine confiance, il entend : “Prends le monde dans ta main, et n’en aie crainte car tu le saisis par Dieu, et non pas par toi !” Et Dieu sait mieux !

            Il y a trois sortes de bon comportement que le novice peut négliger et qui peuvent précipiter sa punition : le comportement envers Dieu et Son Envoyé, le comportement avec le shaykh et les comportement envers ses frères en Dieu.

            Pour les gens du commun, le bon comportement envers Dieu, c’est obéir Son commandement et éviter Ses interdits. Avec Son Envoyé, c’est suivre la Sunna et éviter les gens de l’innovation. Lorsque les hommes manquent aux commandements et s’opposent aux prohibitions, ils sont châtiés physiquement ou dans l’au-delà, ou à la fois dans le monde physique et dans le monde des significations.

Pour ce qui est  de l’élite, le bon comportement envers Dieu c’est de beaucoup L’invoquer, de scruter Sa Présence et de préférer de L’aimer plus que tout autre. Le shaykh Zarruq a rajouté : “et d’observer les limites (hudud), de rester fidèle à l’alliance, de s’accrocher à tout prix au Roi Bienveillant, d’être heureux devant ce qui arrive, et de consacrer tout effort à Dieu.” Le bon comportement envers l’Envoyé -sur lui la paix et le salut -c’est de suivre sa guidance et de revêtir ses nobles qualités. Si les hommes de l’élite manquent à Son invocation, ou si leurs coeurs se mettent à errer dans chercher la Présence, ou si ils se mettent à aimer d’autres choses, ou si d’une manière générale ils manquent à l’application de ce qui vient d’être énuméré, ou s’ils rompent une alliance avec Dieu, alors ils sont battus, emprisonnés, attaqués par la langue ou dans le monde des significations -ce qui est bien pire – par le retrait de Son secours, l’exil loin de Lui sur la station de la distance.

            Pour ce qui est de l’élite de l’élite, c’est à dire de ceux qui sont arrivés au bout du chemin, qui sont humbles en Dieu à l’égard de toute chose et qui sont dans la reconnaissance constante des épiphanies de Majesté ou de Beauté, ceux-là sont dans l’excellence de comportement vis-à-vis de Dieu. Concernant l’Envoyé -sur lui la paix et le salut – le bon comportement, c’est le fait de réaliser sa véritable valeur, de respecter sa communauté et de témoigner de la vision de sa lumière, comme me l’a dit Abu l-Abbas al-Mursi : “Cela fait trente ans maintenant que l’Envoyé de Dieu -sur lui la paix et le salut -ne m’a pas quitté d’un clignement d’oeil. Si s’absentait de mon oeil, je n’oserai même plus me faire appeler “musulman”. Lorsque les connaissants en Dieu manquent à leur devoir de bon comportement concernant l’Envoyé ou un autre membre de sa communauté, il est puni dans le monde sensible ou bien dans celui de la signification subtile. La plupart du temps il reprend ses esprits immédiatement et il cherche a rattraper ce qu’il a perdu. “Ceux qui pratiquent la piété, lorsqu’une suggestion du diable les touche, n’ont qu’à formuler le Rappel, et les voici revenus à la clairvoyance.” (Coran 7 : 201)

            Voilà des bonnes attitudes que doivent avoir les hommes envers Dieu, qu’ils soient du commun, de l’élite ou bien de l’élite de l’élite ; ou, pourrions-nous dire, des aspirants, des cheminants et des arrivants. Et Dieu sait mieux !

            Pour ce qui est du bon comportement envers le shaykh, il porte sur huit points, quatre extérieurs et quatre intérieurs.

            D’abord, la comportement extérieur : le premier est d’obéir à son ordre et ce, même si tu n’es pas d’accord. C’est aussi de ne pas faire ce qu’il interdit de faire, même s’il risque la mort : l’erreur du shaykh vaut mieux que la désobéissance du disciple.

            Le second est de rester silencieux et sérieux en sa compagnie. Le disciple ne doit pas se mettre à rire en sa présence, élever la voix au-dessus de la sienne ou parler s’il n’est pas convié à le faire, où si la situation ne s’y prête pas. Il baissera la voix et parlera d’une voix douce et aimable. Il ne devra pas manger, dormir, rire, s’assoire là où il s’assoit ou parler lorsque les gens se réunissent autour du shaykh. Le shaykh sidi ‘Ali a dit dans son livre : “Fait partie du bon comportement du disciple envers son shaykh le fait de ne pas manger en sa présence, de ne pas dormir en sa présence, de ne pas rire en sa présence, ne pas dormir là où il dort, ne pas s’asseoir là où il s’assoit, ne pas parler lors de la réunion du shaykh, même un simple mot ! Parler, c’est la pire des choses à faire. Toutes ces choses, on doit les éviter, car elles peuvent nous faire manquer de respect et banaliser le rapport au shaykh. Voilà une pure perte. Et nous cherchons refuge en Dieu contre la dilapidation de ce que nous avons reçu, et contre l’exil après le rapprochement”. On a dit : “Mets du sel sur tes actions et de la farine sur ton comportement”. Un poète a dit :

Le bon comportement du serviteur, c’est de se rabaisser, et de s’y tenir sans coup férir.

            Lorsqu’il a parfait son humilité, il accède à l’amour et se rapproche.

            Le troisième point, c’est de s’empresser de le servir le plus possible, en payant de sa personne, de ses biens ou de ses paroles. Le service de ces hommes est un moyen d’atteindre le Maître des maîtres. Sidi ‘Abdullah al-Hibti az-Zajali a dit dans son poème sur le cheminement spirituel :

            La vision du serviteur est parfaite et belle. 

Sa certitude lui donne le succès.

            Il s’offre en entier au service des hommes 

afin de parvenir à son Bien-Aimé.

            L’amoureux est gagnant dans sa quête de l’intime, 

car un amant est cher aux gens de l’amour!

            L’enfant des demeures de la Proximité se trouve à leurs portes

et elles lui sont toutes grandes ouvertes.

            Béni soit-il ! La bonne nouvelle il a reçue !

 Il a reçu le don de la Proximité.

            Puis le poète dit :

            Ta station, c’est bien connu, ô serviteur,

                        Est immensément grande.

            Au soir on te trouve aux environs de Celui que tu sers,

                        Entendant Son secret.

            N’envie personne d’autre, ne désire aucun autre rang :

                        Tout le bien est centré sur toi !

            Le quatrième point, c’est d’être assidu à ses réunions. Le secours du shaykh est comparable à une noria ou aux seaux de la noria. Si la noria est laissée à l’abandon, ou si les seaux ne sont pas entretenus, alors ils se percent et l’eau se répand ailleurs. La visite fréquente du shaykh est aussi le signe d’un amour ardent pour le maître, et on s’abreuve en fonction du degré de son amour. Le shaykh al-Majdhub a dit :

            Nul amour sinon par la racine et nulle arrivée sinon par ce qui est cher.

                        Nul boisson sinon celle qui est scellée et nulle station sinon l’élevée !

Le shaykh ‘Ali al-Jamal a dit dans son livre : “Sache que l’aspirant à la proximité de Dieu ne peut se rapprocher du Tout-Puissant par rien de mieux que la compagnie d’un de Ses saints, s’il en trouve un.” Puis il dit : “La compagnie d’un connaissant en Dieu est meilleure que la retraite, et la retraite est meilleure que de tenir compagnie aux insouciants de Dieu. Et la compagnie des insouciants du commun et meilleure que la compagnie d’un faqir insouciant ! Car tout comme le connaissant en Dieu peut relier le disciple à son Maître par un simple regard ou une parole, le faqir insouciant peut éloigner le disciple de son Maître avec un simple regard ou une parole.”

Que Dieu accorde Sa miséricorde à sidi al-Majdhub qui dit : “Il est ruineux de rester en compagnie de mauvaises personnes, même si tu es pur”.

            Pour ce qui est du bon comportement intérieur, le premier point, c’est de croire en sa perfection et de sa valeur d’éducateur par sa combinaison de la science extérieure et celle de l’intérieur, par sa faculté de combiner le ravissement en Dieu (jadhb) et le cheminement progressif vers Lui (suluk) ; c’est aussi de croire qu’il porte le flambeau du Prophète -sur lui la paix et le salut.

            Le second point, c’est qu’il soit respecté, qu’il soit présent ou absent, et de cultiver l’amour pour lui dans le coeur. Pour connaître son degré d’amour, il faut interroger son coeur. Le coeur indique la sincérité de son amour, et la réalisation spirituelle est la conséquence de la sincérité. Celui qui n’est pas sincère ne chemine pas, même s’il reste shaykh pendant mille ans !

            Le troisième point, c’est d’abandonner ses idées, sa volonté propre et ses actions, pour ce que lui dit de faire son shaykh. C’est ce qu’a fait le shaykh de notre voie, ash-Shadili lors de sa rencontre avec son shaykh à lui. C’est une tradition (sunna) dans sa voie. Alors celui qui entre dans une voie Shadiliyya doit se laver de sa science et des ses actions avant de le rencontrer, et ce afin de boire le breuvage pur de l’océan de son secours.

            Le quatrième point, c’est le fait de le quitter pour un autre. Selon les connaissants, il s’agit là de la chose la plus détestable qui soit, car c’est la raison de la pourriture de la graine de la volonté. Et l’arbre de la volonté se corrompt à sa racine. Ceci vaut pour le bon comportement envers les maîtres de l’éducation spirituelle. Concernant les maîtres des sciences extérieures, il n’y a pas de mal à en quitter un pour aller vers un maître éducateur d’âmes, si on en trouve un, et on n’a pas besoin pour cela d’une autorisation (idhn) particulière. Et Dieu sait mieux.

            Pour ce qui est du bon comportement que l’on se doit d’avoir envers ses frères, il y en a quatre sortes. La première, c’est de maintenir le respect envers chacun d’eux, qu’il soit présent ou absent, et de ne pas médire d’eux ou les calomnier. On ne doit pas non plus dire : “Les disciples de sidi Untel sont parfaits alors que les disciples de sidi Untel ont tel ou tel défaut”,  ou : “celui-ci est un saint, alors que celui-là ne l’est pas”, ou : “celui-là est faible alors que celui-ci est puissant”, ou des choses similaires. Voilà la calomnie même, et c’est haram selon le consensus des savants, plus particulièrement envers les saints de Dieu. La chair du saint est un poison mortel, comme l’est celle du savants et du véridique.[1]Le disciple devra donc faire extrêmement attention à ne pas médire des saints et fuir celui qui s’adonne à cette attitude blâmable comme il fuirait un lion ! Celui qui affectionne cette médisance-là ne réussira jamais.

            A ce titre, les saints comme sont les prophètes : si tu les différencies, tu te vois privé de leurs bienfaits et tu fais preuve d’ingratitude à leur égard. Un soufi a dit : “Celui qui est cassé par les disciples ne peut être réparé par le shaykh. Celui qui est cassé par le shaykh peut, lui, être réparé par les disciples !” Celui que le shaykh a cassé peut être réparé grâce à la sollicitation des disciples au shaykh. Mais ce n’est pas le cas des disciples. Ils ne peuvent rarement réparer ce qu’ils ont cassé. Et Dieu sait mieux.

            La seconde catégorie, c’est le bon conseil mutuel, de donner des conseils aux plus ignorants, de diriger ceux qui sont mal orientés et de motiver ceux qui se sentent faibles, et même s’ils doivent se déplacer pour aller les conseiller. Si dans un groupe il y a à la fois les forts et les faibles, les avancés et les débutants, alors chacun peut voir ce qui est propre à chacun, selon sa station spirituelle. Et les plus forts devront parler aux autres selon leurs capacités de compréhension, comme le stipule le hadith.

            La troisième catégorie de bon comportement, c’est d’être humble et juste envers eux et de le servir autant que possible. Le serviteur d’un peuple est son maître. Si tu vois quelqu’un qui est attelé à une tâche qu’il ne parvient pas à terminer, tu dois aller l’aider afin de l’en libérer pour qu’il puisse invoquer Dieu, même s’il a peu de temps pour le faire. Dieu le Très-Haut a dit : “Entraidez-vous dans l’accomplissement de bonnes oeuvres et de la piété…” (Coran 5 : 2) Ainsi, le disciple ne s’emplit le coeur que de choses qui le poussent à l’effort (jihad) et à la douceur.

            La quatrième catégorie, c’est de les magnifier et de ne voir en eux que la perfection. Il ne déprécie donc personne, et s’il est témoin de choses qui feraient penser à de l’imperfection extérieure il lui cherche des excuses. Il devra lui trouver soixante-dix excuses. Et si la personne continue à agir de manière apparemment imparfaite, il devra voir la même imperfection en lui-même ! Le croyant est le miroir du croyant, et les défauts que voit l’observateur sont aussi présents en lui. Les gens de la pureté, eux, ne voient que la pureté ; et les gens du trouble ne voient que le trouble. Les gens de la perfection ne voient que la perfection et les gens de la perfection ne voient que l’imperfection. Nous avons déjà cité le hadith dans lequel l’Envoyé de Dieu -sur lui la paix et le salut -a dit : “Rien n’est meilleur en l’homme que deux choses : la bonne opinion de Dieu et la bonne opinion des serviteurs de Dieu. Rien n’est pire en l’homme que deux choses : la mauvaise opinion de Dieu et la mauvaise opinion des serviteurs de Dieu”. Le succès est auprès de Dieu !

            Voilà la somme des bons comportements que le disciple doit connaître et mettre en pratique, qu’il soit aspirant, cheminant ou arrivé. Au premier chapitre de ce livre, nous avons énuméré huit vertus, s’adressant en partie au connaissant en Dieu, en partie au cheminant. Reporte-toi à ce chapitre et agis selon leurs commandements. Toute la voie est bon comportement, c’est pourquoi quelqu’un a dit : “Mets du sel sur tes actions et de la farine sur ton comportement”. Abu Hafs a dit : “Le soufisme est tout entier justesse de comportement. Il y a un comportement juste qui sied à chaque instant, à chaque état, à chaque station. Celui qui s’accroche au bon comportement atteint le degré des Hommes. Celui qui ne s’accroche pas au bon comportement est loin alors qu’il croit être proche, et il est rejeté alors qu’il croit être accepté !”

Un soufi a dit : “Accroche-toi au bon comportement à l’extérieur et à l’intérieur. Nul ne fait montre de mauvais comportement extérieur sans être puni à l’extérieur et nul ne fait montre de mauvais comportement à l’intérieur sans être puni au dedans de lui-même”. Nous pouvons lire dans al-Mabahith al-Isliyya[2] :

            Le bon comportement extérieur donne la contemplation

                        de la limpidité de l’intérieur.

            C’est un soutien pour le pauvre

                        et une parure pour le riche.

            Celui qui est prive de vertu est bien loin,

                        et ne pourra se rapprocher.

            Celui qui est emprisonné par la convention

                        et libéré par le bon comportement.

            En vérité, on n’est maître que par le comportement.

                        Et c’est de cette vertu que les Hommes se nourrissent !

            Abu Hafs as-Sarraj a dit : “Pour ce qui est du bon comportement, il y a trois sortes de gens : les gens de ce monde, les gens de la religion (din) et les élus des gens de la religion. Pour les gens de ce monde, le bon comportement, c’est leur éloquence, leurs récits héroïques ou les flamboyants poèmes d’Arabie. Pour les gens de la religion, c’est de préserver leurs connaissances, de s’auto-discipliner, d’entraîner le corps, de rectifier les pulsions naturelles, de maintenir les peines légales, d’abandonner les appétits terrestres, d’éviter le doute et de s’empresser de bien agir. Pour les élus des gens de la religion, leur bon comportement c’est de préserver leurs coeurs, de garder les secrets et d’unifier le secret intérieur et le monde extérieur. Les aspirants varient en terme de science, les cheminants varient en terme de comportement et ceux de la fin varient en terme d’aspiration spirituelle.

            Puis le shaykh [Ibn ‘Ata- Allah] a dit que tant que le novice se justifie et se défend d’être dans cet état, il devra rester dans son ignorance, car il fait partie des gens de l’argumentation, de l’hypothèse et de la conclusion. C’est ainsi que l’on comprend la parole des sages : “Les gens de l’argumentation ne sont inspirés que pour renier toute action à leur encontre”. Si celui-ci avait reconnu son mal-agir et avait rendu justice à lui-même, il serait sorti de sa sotte ignorance, car on a dit : “Si le manque de vertu amène la vertu, alors c’est de la vertu”. Dieu sait mieux.

Fait partie du bon comportement de ne pas détester la station où Dieu a mis un de ses serviteurs, quelle qu’elle soit, comme il [Ibn ‘Ata- Allah] dit :

Si tu vois un fidèle que Dieu astreint à la pratique des dévotions externes, et l’y maintient longtemps, même après l’avoir favorisé de nombreuses grâces,  Ne méprise pas ce que son Seigneur lui octroie parce que tu ne vois en lui ni la marque des connaissants en Dieu ni l’allégresse des amants : Il n’y aurait pas pratiques de dévotions externes s’il n’y avait pas aussi touches mystiques.


[1]Cette idée de poison mortel (samm qatil) est commune parmi les expressions des soufis, mais c’est peut-être ici une référence à une parole du shaykh al-Mursi, rapportée dans le Lata’if al-Minan d’Ibn ‘Ata- Allah : “La chair des saints est empoisonnée !”, c’est à dire que celui qui s’attaque à l’honneur des saints court à sa perte. (La sagesse des maîtres soufis, p.159)

[2]Le Mabahith al-isliyah ‘an junhat as-sufiyah, poème soufi composé par Ahmad ibn Muhammad ibn al-Banna al-Tujibi (mort en 821 à Fès). Ibn ‘Ajiba en a produit le commentaire, le Futuhat al-ilahiyah. Le commentaire de ce poème et celui des Hikam d’Ibn ‘Ata- Allah ont souvent été publiés ensemble.